Que Bongo ait financé des politiques français, WikiLeaks ne fait que le confirmer. Voici le circuit de la « Bongo connection ».
Dans la tumultueuse histoire franco-africaine, la révélation de WikiLeaks sur la corruption de feu Omar Bongo n’est pas vraiment une nouveauté. Par contre, elle vaut par sa précision : détourner de l’argent d’une banque centrale africaine, avec la complicité du personnel, pour financer les campagnes électorales françaises. Revue de détail des mille et une manières de corrompre son prochain.
Certaines coïncidences tombent bien. Arrivé au pouvoir suprême en décembre 1967, Albert Bernard Bongo ne connaîtra que brièvement la main de fer du général de Gaulle, dernier chef d’Etat français à limiter les pratiques de corruption de la vie politique. Deux événements vont alors précipiter le phénomène et faire entrer la vie politique dans une nouvelle ère :
- le départ de de Gaulle de l’Elysée en 1969 ;
- le premier choc pétrolier en 1973, qui transforme le Gabon en émirat pétrolier.
1975 : une banque taillée sur mesure, la Fiba
Le « canal historique » de la corruption est élaboré par le « clan des Gabonais », rassemblement homogène d’anciens des services secrets (Maurice Robert, Maurice Delauney) et des dirigeants d’Elf-Aquitaine (Pierre Guillaumat, André Tarallo).
En 1975, il créé une banque, la French international bank of Africa (Fiba). L’établissement n’aura que trois succursales (Libreville, Paris et Brazzaville) et une activité principale : gérer la PID (provision pour investissement diversifiée), l’argent du pétrole.
La Fiba joue le rôle de collecteur et de redistributeur :
- soit elle alimente d’autres comptes bancaires, en Suisse, aux Etats-Unis ;
- soit elle met à disposition de ses clients (famille Bongo et amis) des sommes en liquide, à retirer directement aux guichets
L’hôtel Meurice, rendez-vous des obligés
Omar devenu El Hadj Bongo en 1973 -pourse rapprocher des pétro-monarchies du Golfe-, dispose d’un somptueux hôtel particulier à Paris. Pourtant, il préfère de plus en plus séjourner à l’hôtel Meurice, un « quatre étoiles » luxe devant le jardin des Tuileries.
Le rituel est immuable : toute la classe politique française, gauche et droite confondues, demande audience à ce politique qui connaît sa géographie électorale sur le bout des doigts. Pas une cantonale partielle qui n’échappe à sa vigilance. L’audience signifie deux choses :
- être adoubé lorsque l’on est dans la catégorie « jeunes espoirs » ;
- pour les poids lourds, être financé en période de campagne électorale.
Chacun repart avec une enveloppe (jeunes espoirs) ou une valise (poids lourds) remplies de cash. En février 2002, la méthode vaudra au ministre des Affaires étrangères, Jean Ping, d’être dévalisé par un rat d’hôtel. Sa mallette contenait 150 000 euros et 150 000 dollars en petites coupures !
Utiliser au mieux les circuits off-shore
Dans les années 80 et 90, la corruption suit les routes de la mondialisation financière. Circuits de plus en plus sophistiqués, recours aux plus grandes banques d’affaires, mais surtout coupe-circuits en tout genre pour qu’aucun juge ne soit en mesure de remonter la trace de l’argent détourné.
Pascaline Bongo, fille préférée mariée au grand argentier du régime Paul Toungui, est alors chargée de gérer l’ensemble de ses avoirs dissimulés sous la forme de placements mobiliers et immobiliers. Un rapport du Sénat américain montre que le dictateur est client de la Citibank depuis 1970. Aux Etats-Unis, c’est un Français, Alain Ober, qui gère ce patrimoine familial. Bongo dispose de comptes un peu partout : Bahreïn, Paris, Luxembourg, Londres, Genève et New York.
En 1985, il acquiert une off-shore : Tendin Investments Limited située au Bahamas, par laquelle transite une grande partie des 130 millions de dollars détournés des caisses publiques. Cela permet à la famille de financer son train de vie. En 1995, un virement de 1,6 million de dollars vient couvrir les frais de la délégation gabonaise qui participe au 50e anniversaire de l’ONU. Coût de ces services très spéciaux : un million de dollars par an.
L’enquête du Sénat US obligera Bongo à déménager sa fortune vers des cieux plus cléments et à « privatiser » encore plus sa gestion, en la confiant à son conseiller spécial Samuel Dossou Aworet.
Oscar, un service privé suisse sur mesure
Pendant des années, Elf-Aquitaine a aussi utilisé les services d’Oscar pour financer directement la classe politique française. L’explication avait été livrée lors du procès Elf. Le système fonctionnait de la manière suivante : une société basée en Suisse répondait sur un simple coup de téléphone d’Alfred Sirven, l’éminence grise de la compagnie pétrolière :
« J’ai besoin de tant, demain à Paris.
– D’accord, le code sera un demi-ticket de métro. »
Le lendemain, un porteur de valises se présentait dans ses bureaux de l’avenue Georges-V, exigeant le demi-ticket de métro (expédié en parallèle) en échange du colis : une valise pleine de billets. Il ne restait plus aux bénéficiaires qu’à passer à l’office du généreux distributeur.
Ce principe peut sembler archaïque, mais en réalité nul n’a trouvé mieux depuis que la corruption existe. La coupure physique permet de se mettre à l’abri de toute menace et de tout chantage.
Braquer directement la banque centrale
Avec les dernières révélations des télégrammes diplomatiques américains mis en ligne par WikiLeaks, la logique est respectée. La corruption est désormais au cœur même des circuits financiers, puisque ce sont les propres dirigeants de la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC) qui détournent l’argent au profit d’un financement politique.
Telle qu’elle est détaillée par l’ambassadeur Janet Garvey, l’opération menée au moment de la mort d’Omar Bongo consiste :
- soit à se faire des chèques entre eux pour placer les fonds ailleurs ;
- soit à profiter de la complicité d’une banque (la Société Générale) sur un placement à risque pour « noircir » de l’argent propre.
Dans les deux cas, le ministère français des Finances est au courant, puisque la direction du Trésor a un représentant au sein du comité d’audit de la BEAC qui lève le lièvre. Qu’a fait l’Etat français ? Les haut fonctionnaires ont-ils dénoncé ces manœuvres ? On attend la réponse.
S: Rue89.com