Le président du Front populaire ivoirien (FPI) se considère comme le chef de file de l’opposition. Et se dit convaincu que son parti pourra former un groupe parlementaire à l’issue des prochaines législatives.
Fort des 9 % de suffrages qu’il a recueillis lors de la présidentielle d’octobre 2015, Pascal Affi N’Guessan, 63 ans, se présente en rassembleur de l’opposition et appelle les membres de sa formation à l’union. Début mars, après un an de vaines négociations avec des frondeurs qui contestent sa légitimité, le président du FPI a présenté un nouveau secrétariat général, composé de 174 membres.
Une réorganisation des troupes pour enfin tourner la page. Malgré la persistance de dissensions internes, il est persuadé que son parti pourra former un groupe parlementaire à l’issue des prochaines législatives (qui doivent se tenir au second semestre de 2016). Cette présence dans l’hémicycle permettrait au FPI, qui avait boycotté les législatives de décembre 2011, « d’officialiser » son statut de force politique majeure dans le pays.
Pascal Affi N’Guessan nous a reçus chez lui, dans son imposante résidence de Riviera-Anono, dans le sud d’Abidjan, qui lui sert aussi de siège de campagne depuis que la direction du FPI a été contrainte de quitter l’ancien QG de Laurent Gbagbo, à Cocody.
Jeune Afrique : Qu’est-ce qui a changé au FPI depuis la présidentielle d’octobre 2015, en particulier pour vous, qui étiez son candidat ?
Pascal Affi N’Guessan : La perception qu’a l’opinion de ma personnalité, ma stature aussi. Je me suis depuis positionné comme le chef de file de l’opposition. Même si le résultat « officiel » de 9 % ne nous a pas satisfaits, il permet au FPI d’apparaître davantage comme une force alternative. Après les traumatismes de la crise postélectorale et quatre années de léthargie, nous sommes désormais la principale force politique en Côte d’Ivoire, la seule capable de conduire le changement.
Pourtant, le parti continue de s’entre-déchirer, et les frondeurs continuent de remettre en question votre légitimité…
J’ai été directeur de cabinet de Laurent Gbagbo en 1994, puis son directeur de campagne en 1995, puis son Premier ministre de 2000 à 2003, date à laquelle j’ai pris la tête du FPI. Je me considère légitimement comme l’héritier politique de Laurent Gbagbo. Un parti n’est pas une organisation figée dans le temps, il doit se moderniser. Et de nouveaux membres nous apportent du sang neuf. Le FPI c’est nous, sa direction actuelle, qui est reconnue par l’État. La cabale montée contre moi n’a pas marché, et cette dissidence s’effrite.
Le principal problème du FPI n’est-il pas justement le culte de la personnalité qui perdure autour de Laurent Gbagbo ?
En effet, Laurent Gbagbo a été et reste une force pour le parti. Mais aussi un handicap. Aujourd’hui, notre travail consiste à permettre à tous ceux qui sont restés dans cette posture messianique d’évoluer et d’avoir une attitude plus rationnelle.
A contrario, certains vous reprochent de trop bien vous entendre avec le président Ouattara…
C’est faux. On ne s’entend pas bien. On discute, mais il y a entre nous de lourds contentieux, en particulier sur la question des prisonniers politiques. Nous avons des rapports de pouvoir à opposition. Le président nourrit l’ambition de faire en sorte que l’opposition existe, qu’elle prenne sa place dans la vie politique nationale, c’est un bon signe. Mais nous n’avons pas la même vision des choses.
Le FPI n’est d’accord ni avec sa politique libérale ni avec la gouvernance actuelle, où seuls les proches du pouvoir sont récompensés, où une seule autorité décide de tout et où le pouvoir judiciaire est aux ordres. Il lui reproche aussi l’inconsistance de sa politique sociale, qui ne pourra qu’échouer dès lors que le sort des populations n’est pas la principale préoccupation du régime du président Ouattara, davantage focalisé sur des investissements de prestige.
Quelle sera votre stratégie de campagne ?
Nous allons être présents dans toutes les circonscriptions, en parfaite synergie avec l’ensemble de l’opposition. Nous sommes prêts à faire gagner des candidats de partis concurrents. Nous organiserons d’ailleurs des candidatures consensuelles de rassemblement. Nous voulons gagner le maximum de sièges pour peser efficacement sur le jeu politique national et avoir une capacité d’influence sur les institutions.
La majorité se prépare aussi. Que pensez-vous du projet de fusion entre le Rassemblement des républicains (RDR), d’Alassane Ouattara, et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), d’Henri Konan Bédié, qui sont alliés depuis quinze ans au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ?
Je pense que c’est une alliance en fin de vie. Elle a été conclue pour permettre à deux hommes, Bédié puis Ouattara, d’accéder au pouvoir. Ils ont atteint leur objectif, donc cette alliance n’a plus aucun sens. Le fait de poser la question d’un parti unifié montre bien qu’il y aura un problème. En réalité, ceux qui prendront la relève ne sont pas prêts à s’unir derrière un seul parti, car tous sont des candidats potentiels à une prochaine élection présidentielle.
De votre côté, n’avez-vous pas envie de créer une coalition de l’opposition ?
Un parti est un instrument. Je ne peux pas dire que le FPI est éternel et qu’il restera tel qu’il est jusqu’à la fin des temps. Il y aura forcément des mutations. Alors, oui, il est possible qu’il puisse fédérer une organisation plus vaste sous un autre nom. Mais il ne faut pas forcer le destin. Il faut déjà que nous mettions de l’ordre chez nous.
Le FPI va organiser très prochainement le congrès qu’il n’avait pu tenir en décembre 2014. Souvenez-vous… Certains avaient voulu imposer Laurent Gbagbo à la présidence du parti alors qu’il n’en avait pas fait explicitement la demande. Depuis, nous sommes en procès, désormais en appel, et la décision doit être rendue le 6 mai.
Craignez-vous que des candidats « dissidents » du FPI se présentent aux législatives ?
Je ne crois pas qu’il y en aura. Mais celui qui se présentera contre le FPI ne pourra plus revendiquer le statut de militant du parti. Par ailleurs, si les principaux frondeurs, Aboudramane Sangaré et Laurent Akoun, ne font plus partie de la direction du FPI, ils sont encore membres du parti.
Comment voyez-vous la présidentielle de 2020 ?
Ça sera la fin d’une génération, celle de Ouattara [74 ans] et de Gbagbo [70 ans], et l’avènement d’une autre, avec des gens comme moi, mais aussi de jeunes loups, que l’on pourrait appeler « génération Fesci » [Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire].
N’avez-vous pas peur d’être considéré comme un homme du passé ?
Ah, non ! Je peux même dire que je devrais logiquement apparaître comme l’homme de la situation. Celui qui a une vraie expérience démocratique là où d’autres ont choisi d’emprunter des raccourcis pour prendre le pouvoir.
L’article intégral dans Jeune Afrique du 10 mai 2016