Danse contemporaine, poésie, chant, slam, musique, plusieurs troupes et artistes ont rendu un vibrant hommage, dans la soirée de samedi à l’Institut français d’Abidjan, à Henrike Grohs, directrice du centre culturel allemand (Goethe Institut) d’Abidjan, tuée dans l’attentat terroriste perpétré le 13 mars contre une plage de la ville de Grand Bassam.
« Henrike s’en est allée, la mort l’a mangée. La mort, l’étrangère la plus détestée ; elle nous vient sans être invitée et repart sans être accompagnée », psalmodie une jeune poétesse, la voie perçante, portée par une mélodie acoustique et langoureuse savamment distillée par un orchestre aux instruments traditionnelles africains : balafon, flute, ahoco, pendre, djomolo, arc musical, tambour.
Dans la salle de spectacle de l’Institut français, quasiment pleine, l’émotion est à son comble, et les proches, amis, collègues, mais aussi les personnes venues compatir pour la défunte, ivoiriens comme expatriés, chacun vit le deuil.
Assise dans l’une des rangées du fond de la salle, une dame à l’allure sexagénaire n’arrive pas à se contenir et pousse des sanglots au moment ou’ un autre poète, dans le même tempo, se lance : « De balles innocentes tirées par des innocentes armes pour ôter la vie à d’innocentes âmes ; « Tuer pour quoi ? Tuer pour rien ! Tuer par simple bêtise », fustige-t-il.
Entre chants et danses, les ballets se succèdent sur la scène. Dans les chorégraphies de ces jeunes gens, jalonnées par des expressions corporelles et mimiques particulières aux gestuelles tantôt intrépides tantôt indolentes, se lisent frustration, rage, incompréhension, révolte, consternation face à cette disparition tragique « inattendue et injuste » de l’ »amie de la culture ivoirienne ».
Car Henrike Grohs, cette ethnologue de 51 ans qui dirigeait le centre culturel allemand d’Abidjan depuis 2013 et qui étaient très engagée dans la promotion de la culture en Côte d’Ivoire, a en effet joué un rôle important dans la reconversion de plusieurs de ces talents montants, en les sauvant des griffes de la délinquance juvénile, la drogue, la rue, etc, pour s’adonner à l’art.
Face à cet attentat terroriste revendiqué par AQMI qui leur a arraché Henrike, ils opposent un « Attentat poétique avec des bombes de mots » par la magie du slam et des arts, à travers leurs différentes troupes que sont, entre autres, Yéfimoah, King Art, N’Soleh, Gbadié, Amaz’G.GLS, Wing’s Boy.GLS, Réservoir Monboye, Kassoutri.
Gorge nouée par l’émotion, la rappeuse Nash, vicaire du langage Nouchi, argot ivoirien qui allie français et langues locales, perd son verbe. « Je suis tellement dégba (désespérée) que les mots me fraya (manquent », soupire la « go krakra du djassa, le moral en berne.
Mais lorsqu’elle entonne sa version Nouchi de l’hymne nationale de Côte d’Ivoire que Henrike Grohs aimait particulièrement, c’est toute la salle, de façon spontanée, qui se tient débout.
Toutefois, il fallait redonner espoir et sécher les larmes. Le reggae-man Kajeem change la cadence et enflamme la salle avec un beat ragamuffin, apportant une note de gaieté à ce moment de recueillement, et emmenant même les spectateurs à reprendre en chœur avec lui le refrain de sa chanson intitulé « Tivié ».
Le « fils de Jah » profite de ce moment pour appeler tout le monde à s’approprier le projet « J’aime ma lagune » initiée par Henrike Grohs, qui consiste à promouvoir la lagune abidjanaise; « afin qu’on ne se pince plus le nez en passant à côté » à cause de sa mauvaise odeur ».
« Mais qu’on lui exprime notre amour par des actes citoyens pour qu’elle devienne une fierté pour nous », clame l’artiste qui, entouré de tous les autres artistes ayant joué ce soir, exhorte chacun à « liker » la page « J’aime ma lagune » sur Facebook pour que cette « chaine d’amour créée par Henrike ne se brise jamais ».
Pour les artistes, l’ »acte horrible » de ces terroristes qui ont fait au total 19 morts lors de cette attaque, est « Zéro pointé », car, affirme un slameur, « l’amour est notre force, et la victoire sera à la fin ».
Et la jeune poétesse de demander à tous de ne pas être tristes parce que Henrike « appartient à la postérité », pour son œuvre qui contribue au rayonnement de la culture ; avant de conclure : « Je vous demande de ne plus pleurer Henrike, de ne plus pleurer les victimes de Bassam, mais de vous réjouir de les avoir connus ».
Avec AIP