Le tournant très regrettable qu’a pris la crise politique ivoirienne aux lendemains du scrutin du 2ème tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, marquée visiblement par l’imbroglio du fait que les deux candidats se disputent le fauteuil présidentiel – l’un soutenu par les grandes Puissances étrangères et l’autre accueilli par la grande majorité des Ivoiriens et des institutions du pays, inquiète plus d’un Ivoirien. Un cas typique en Afrique, même dans le monde. Au fil du temps, avec le déliement des langues, on s’interroge de plus en plus sur le retard des pays africains, bien plus sur le partenariat entre les anciennes colonies et leurs anciens colonisateurs. Le rôle des cadres et intellectuels africains fait l’objet d’âpres discussions.
Au-delà des réalités de cette crise atypique, il est bon d’aborder ici la responsabilité qui incombe aux Africains dans la lutte pour l’émancipation des peuples et pour le développement des pays africains.
Les importantes inquiétantes et écœurantes révélations à travers les films documentaires sur les coups d’États en Afrique et sur les réalités morbides de la moribonde Françafrique, les propos et aveux d’importantes personnalités politiques et diplomatiques mis au jour en disent long. L’intérêt qu’a suscité cette crise post-électorale de ce petit pays africain dans les différents médias du monde laisse déconcerter. Sans conteste, on peut aboutir à la conclusion que notre monde est une véritable jungle moderne, où le plus Fort a toujours raison, malgré tout ce qui semble être fait pour la défense des droits de l’homme et des peuples. Les peuples les plus puissants au monde ne cessent d’imposer leurs diktats aux autres, les faibles. Une attitude qui frustre et qui révolte. On comprend, de là, le désir ardent, le souci des pays émergeants à vouloir coûte que coûte entrer dans le cercle des Puissants pour ne pas se voir imposer n’importe quoi, par n’importe qui, à n’importe quel moment.
La dictature de ces grandes puissances
Les réactions hystériques des grandes puissances, en l’occurrence celles des USA et la France (surtout) méritent encore une fois de faire l’objet de réflexions. On peut comprendre leur souci de voir triompher la démocratie dans les pays africains, comme la Côte d’Ivoire – où d’ailleurs une bonne majorité de la population est analphabète, illettrée, peu instruite et peu cultivée sur les notions relatives à l’Etat, à la liberté, à la démocratie, au pluralisme ou à l’alternance politique – pour le bonheur et l’épanouissement de leurs peuples. C’est ahurissant de constater que ces Puissances, qui se réclament pays de droit de l’homme, ferment les yeux sur les exactions commises dans le Nord de la Côte d’Ivoire lors du scrutin du 2ème tour de la Présidentielle. Elles en font éperdument fi comme si ces victimes de la liberté sont des moins êtres humains, sans compter les fraudes massives dont parlent les partisans du LMP et d’autres observateurs accrédités, en exigeant cavalièrement que la volonté du peuple ivoirien soit respectée : laquelle ? Le bon sens aurait pu qu’on aille d’abord se rendre effectivement compte de tout ce qui pose problème. Mais…
Le moins qu’on puisse dire c’est qu’on assiste à une véritable dictature de ces Puissances qui consiste, comme beaucoup l’ont décrié, à enlever un candidat et à installer de force un autre, qu’ils veulent, que les institutions du pays ne reconnaissent pas comme élu par la majorité des Ivoiriens.
Ce soutien hystérique de la France n’est tout simplement que l’expression d’une barbarie, d’un terrorisme et d’un banditisme politique ! Les Africains (les Français aussi) ont toujours en mémoire la guerre du Biafra au Nigeria, celles au Cameroun (1955-1962) et en Algérie, etc. menées par France et son implication dénoncée dans celle du Rwanda. Il y a lieu de se demander encore une fois ce que veut la France en Côte d’Ivoire ? Pourquoi une telle ingérence dans nos affaires ? Pourquoi tant d’affection pour un candidat, sans chercher à savoir les raisons de cette impasse politique aux lendemains de ce 2ème tour de la présidentielle ? Ah, c’est la dictature : un point c’est tout ! C’est une Puissance, donc elle a raison, voilà ! Et tant pis pour les faibles. Il n’est pas question de savoir quoi que ce soit. Il faut que sa volonté, en tant que Puissance, prête à créer également la chienlit en Côte d’Ivoire, soit faite ! Pas de discussion. Telle est l’interprétation qu’il y a à faire de leur saugrenue attitude.
Pour avoir séjourné une dizaine d’années en Europe et observé avec intérêt le quotidien des membres de leurs sociétés – en tout cas de ceux où je vis, cf. les quelques ouvrages littéraires produites à ce sujet www.blaise-ahua-books.de ou cf. Edition BoD – et prêté attention aux témoignages des émigrés africains, je comprends et soutiens la volonté de ces nombreux Ivoiriens, qui ne sont pas forcément des partisans de LMP, de se battre vigoureusement pour le respect de la Souveraineté de la Côte d’Ivoire. L’ingérence de la France dans nos affaires est évidemment intolérable. Une aide quelconque apportée par un tiers pour la recherche de la paix et pour le bon déroulement des élections ne lui donne nullement le droit de décider à la place des responsables de nos institutions, ni de se comporter en maître.
D’autre part, on pourrait s’interroger sur les vraies raisons d’un tel comportement. La question est de savoir si une intervention militaire, confiée sans vergogne à la branche militaire de la CEDEAO afin de se voiler un peu cette fois-ci, pour déloger le candidat de LMP, donc enlever l’un pour installer l’autre pourrait ramener la paix en Côte d’Ivoire quand on sait pertinemment que ce n’est pas la solution ? Il apparaît clair que l’intention n’est pas d’aider la Côte d’Ivoire, bien au contraire. Et sur ce point-là, les objectifs inavoués se sont déjà affichés. Tout un prétexte, toute une machination pour venir à bout de leur honteux dessein, aujourd’hui connu du grand public africain, et qui n’honore pas les Français, mais…
Heureusement, l’option militaire est au fur et à mesure écartée par les chefs d’Etat africains. Les protagonistes parlent de plus en plus de négociation et de résolution pacifique. Quant à la Société Civile Ivoirienne, elle évoque un 3ème tour. Pourquoi pas ?
L’acharnement de la France sur les pays africains riches en ressources naturelles, comme la Côte d’Ivoire, dont elle a vitalement besoin est un fait, d’ailleurs notoire ; un autre tout autant écœurant est à dénoncer avec force : il s’agit de l’attitude apatriotique (permettez-moi ce néologisme) des intellectuels et élites ivoiriens.
Ces intellectuels et élites ivoiriens aveuglés par leur propre haine
Normalement, chacun des deux camps ivoiriens antagonistes devraient avoir pour objectif de faire triompher la démocratie en Côte d’Ivoire. Dans une telle impasse politique, pour le règlement de laquelle le recours à la force n’arrange personne, on peut se poser la question de savoir pourquoi les intellectuels et élites ivoiriens ne font pas preuve d’intelligence ?
Plus regrettable, c’est l’attitude de bon nombre d’entre eux qui emploient leurs talents pour attiser le feu de la haine entre Ivoiriens, dont beaucoup en réalité ne savent pas grand-chose des machinations et supercheries des hommes politiques ivoiriens et leurs alliés, ceux-là qui les montent, les uns contre les autres, pour je ne sais quelle raison. Au lieu d’user de leur popularité pour calmer le jeu, pour intervenir avec décence, certains parmi eux – sans état d’âme – s’en sont personnellement et de façon ciblée pris haineusement à des hommes politiques qu’ils couvrent de tous les malheurs. Ridicule ! Des sites Internet bâtis rien que pour gagner la campagne médiatique par la désinformation, l’intoxication et le mensonge – à l’instar des médias français –, au lieu de voir d’abord l’intérêt de leur pays. Il faut se réjouir du fait que les lecteurs accordent de moins en moins du crédit aux écrits subversifs de ces personnes, prêtes à vendre, à faire tuer leurs frères compatriotes parce qu’ils n’auraient pas (à leur avis) bien assumé son rôle, parce qu’ils n’auraient pas (selon eux) bien géré le pays dans cette situation de guerre engendrée une Rébellion lourdement armée. Pitoyable ! Il ne s’agirait pas de les vendre ou de les faire tuer dans ce cas, mais plutôt de ne pas les soutenir dans leurs projets d’assumer d’autres responsabilités. De plus la Rébellion armée, pullulée de fauteurs de troubles et de guerres, n’est aucunement mise en cause par ces derniers qui se sont érigés en moralisateurs. Pourquoi le sort des Ivoiriens dans cette partie du pays toujours sous le contrôle des rebelles ne fait pas l’objet de réflexions ni de condamnations ? Il y a là caution de la violence, et on feint de s’étonner de ses conséquences. La rage qui les anime est telle qu’ils sont incapables de faire la part des choses : la bataille pour leur Patrie de celle qui doit consister au règlement de nos problèmes et difficultés et des différends qui nous opposent. L’essentiel pour eux étant de voir partir celui qu’ils haïssent, même s’il faut vendre leur Patrie. Mais, là, permettez-moi de vous dire une chose : il est certain que votre ennemi ne serait plus là, mais… votre pays aussi : il sera vendu ! Il ne vous appartiendra plus, plus jamais, de votre faute. Vous n’avez pas encore compris. Revoyez l’Histoire de l’Afrique et des Africains !
Personnellement, mon intervention n’est pas celle d’un partisan d’un candidat, ce à quoi j’ai droit de toute façon, mais celle d’un Ivoirien – comme ces nombreux compatriotes – pour qui l’intérêt du pays est de primauté, comme savent le faire les Européens pour leurs pays ; c’est à juste titre que je soutiens et soutiendrai celui qui inclut dans son projet la bataille contre la barbarie et le banditisme politique des grandes puissances, car les Africains ont jusqu’à ce jour souffert surtout de ces présidents marionnettes irresponsables et de leurs acolytes ! Il faut le dire encore plus fort.
Notre responsabilité est grande dans crise politique ivoirienne. Il est temps de bannir de nos rangs (des rangs de ceux qui assumeront des responsabilités) ces compatriotes aveuglés par la haine qu’ils ont dans leur cœur. L’esprit patriotique doit d’abord habiter tout Ivoirien comme il l’est chez les autres : les Européens (que je connais mieux).
Il est temps que les intellectuels et élites qui ont perdu le sens patriotique se ressaisissent, qu’ils fassent preuve de bonne foi, condition sine qua non pour le bon déroulement d’un entretien. Nous le savons tous : seuls le dialogue et la négociation peuvent nous faire avancer dans une situation pareille. Oui, parce que nous sommes intellectuels et élites justement, nous devons être prêts à aller vers l’autre pour dialoguer, pour négocier, parce que nous en avons les capacités. C’est pourquoi il serait important de battre le rappel auprès de ces hommes, auprès des plus honnêtes et compétentes à travers le monde pour qu’on offre la possibilité à ceux-là de faire profiter leurs expériences, leurs compétences pour sauver la Côte d’Ivoire, notre pays à tous. En pareille perdition sociale et politique des pays n’ont pas hésité à le faire, ils y ont mis les moyens et ont pu sauver leurs patries.
L’entente entre Ivoiriens s’impose avant tout projet, il faut réfléchir sur les moyens et les méthodes pour briser le mûr de la méfiance, de la peur qui s’est malheureusement enraciné dans l’esprit des uns et des autres afin d’arriver à mieux vivre ensemble, car après tout nous sommes engagés dans le même navire. Les exemples sont devant nous !
Blaise Ahua
Linguiste, écrivain
ahua.blaise@yahoo.fr