Ce que nous pouvons retenir de la trajectoire de Gbagbo

Gbagbo est mort autant de fois qu’il y a eu de morts durant une période qui a fait de la Côte d’Ivoire un pays où battait le cœur de l’Afrique en général et celui du Cameroun en particulier.

Oui, le cœur du Cameroun a battu en plein cœur d’Abidjan et de toutes les autres parcelles de cette terre sœur pendant toute la crise qui a abouti à l’arrestation et à l’emprisonnement de Gbagbo, pour un motif qu’il vaut mieux ne pas rappeler ici, parce qu’incapable de refléter la personnalité et l’oeuvre de celui qui aura passé plus de sept ans dans les geôles du CPI, pour être finalement acquitté. Sans doute parce que les Camerounais ont trouvé en cet historien démocrate au sens profond du terme, en son combat, en ses idées, quelque chose de profondément camerounais qui s’est, une fois de plus, vérifié le jour de sa libération.

Au moment en effet où la journaliste de France 24 fait le reportage devant les partisans de la sortie de prison de notre « Africain fondamental », il y a un drapeau qui est brandi en arrière fond, l’unique drapeau visible dans le reportage, qui est celui du Cameroun. Cette image apparemment anodine est pourtant chargée d’une puissante symbolique historique et humaine que ne peuvent décrypter amplement les lignes peu loquaces d’une chronique.

Historiquement parlant, l’attitude de Gbagbo pendant la crise a donné aux camerounais l’occasion de se regarder dans leur propre miroir et de tracer des parallèles entre un nationalisme profond, sincère et radical porté par l’historien président et celui qu’autrefois Um Nyobe et son groupe manifestèrent et qui fut détruit dans les maquis de la forêt camerounaise.

De manière imagée, on pourrait dire que Gbabgo est le Um Nyobe ivoirien, à quelques différences près, bien évidemment.

Mais sur le plan intellectuel et politique, les deux hommes font partie de la même écurie faite d’une « présence africaine » forte, d’une affirmation sans borne et sans concession de la nécessité pour les Africains d’assumer leur entière liberté, sans la moindre entrave extérieure. Gbagbo est donc, pour le camerounais débarrassé des jongleries politiciennes et de toute sortes d’inféodations mercantiles, le rappel passionné d’un moment à la fois tragique et glorieux de sa propre histoire.

Humainement parlant, le drapeau vert, rouge, jaune frappé d’une étoile d’or sur la bande rouge, qui flotte à la Haye lorsque la libération de Gbagbo est prononcée, souligne un trait de caractère fondamental de l’être du Camerounais. Son nationalisme ne s’arrête pas aux frontières de nos Etats historiquement tracés à l’équerre impérialiste.

L’habitant de ce pays est sans doute l’un des derniers du continent à faire de la rencontre avec l’autre un objet de xénophobie. Bien que nous ayons nos travers et enfers, il y a quelque chose d’irrémédiablement africain et humain lové dans la profondeur du camerounais lambda qui en fait la miniature du continent et de l’univers. L’autre, dans ce sens, est nous et nous aspirons à être l’autre. Et Gbagbo, un grand fils du continent et de l’humanité, ne peut donc être ailleurs que chez lui-même au Cameroun, dans la générosité de ses terres et l’éclat poétique de ses couleurs.

Mais ce que nous pouvons retenir de la trajectoire de Gbagbo, c’est que l’histoire est une masse informe et énorme. Pour la faire avancer, il faut, qu’on le veuille ou non, que l’on soit nationaliste ou traitre, parfois des océans de sang pour faire tourner ses turbines complexes. La marche de l’histoire s’équilibre presque toujours dans la férocité des tragédies et la discrétion du bien. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’histoire de la Côte d’Ivoire et du reste du monde avec Gbagbo n’a pas encore dit son dernier mot. Et que l’Afrique quant à elle est en marche.

JEAN CLAUDE AWONO ( Journaliste camerounais)

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