La déclaration de Marine Le Pen d’effectuer un déplacement à Abidjan pour rencontrer le Président Laurent Gbagbo suscitte diverses réactions tant des Français que des Ivoiriens. Ci-dessous une réaction de la Diaspora:
Interrogée au sujet de la crise ivoirienne le Dimanche 19 Décembre sur RTL, Marine Le Pen, présidente du Front National français, a constaté un conflit de légalité entre le Conseil Constitutionnel et la CEI (curieusement appelée Commission Electorale Internationale par le journaliste et non pas Commission Electorale Indépendante, reprenant le même lapsus que Michel Denisot lors de l’interview du président Gbagbo sur Canal +, ce qui peut laisser penser que ce lapsus est en fait une manœuvre lexicale de plus pour donner une auréole internationale à l’organe administratif qu’est la CEI).
Elle a fustigé le président Sarkozy pour avoir pris position précipitamment en faveur de M. Ouattara, à l’instar de beaucoup de gens qui prennent position avant de prendre connaissance des dossiers, notamment les contestations émises qui n’ont pas fait l’objet d’une instruction de la part des instances internationales. Tout en se défendant de prendre parti pour le président Gbagbo, Mme Le Pen s’est dite préoccupée par la prise de position de Nicolas Sarkozy compte tenu des 15 000 ressortissants français en Côte d’Ivoire, et des intérêts économiques français dans ce pays. A la question sur la posture néo-coloniale de Nicolas Sarkozy, la présidente du Front National a dit défendre la souveraineté de toutes les nations, et que la précipitation des instances internationales peut à juste titre laisser penser aux Ivoiriens que des pressions sont exercées.
Objectivement, on aurait souhaité que beaucoup d’autres dirigeants politiques français adoptent la même circonspection envers la reconnaissance « unanime » de la « communauté internationale », ce qu’à d’ailleurs fait M. Mélenchon le 4 Janvier sur BFM TV. La position de Marine Le Pen devrait-elle pour autant réjouir les Ivoiriens au point de l’inviter à venir soutenir le président Gbagbo à Abidjan, comme l’affirme koaci.com ? La perspective d’une telle «alliance paradoxale» réjouit d’avance la presse Ouatariste qui sait qu’elle tient là une carte maîtresse à l’encontre du président Gbagbo, et de quoi relancer le lynchage médiatique contre la Côte d’Ivoire qui a perdu de sa vigueur depuis quelques semaines.
S’il y a des soutiens dont on se passerait bien, celui de Marine Le Pen en est définitivement un.
Forte de 18% d’intentions de vote aux prochaines élections présidentielles françaises, le Front National (FN) – surnommé l’affront national par ses nombreux détracteurs – jouit d’une réputation détestable. Marine Le Pen apparaît certes plus fréquentable que son père, mais bien peu de Français osent avouer publiquement leurs opinions frontistes généralement xénophobes, tant elles apparaissent aussi entachées de racisme. Le meurtre de Brahim Bouarram, noyé dans la seine par des Skinhead durant une marche du Front National en 1995, demeure dans les mémoires.
Roland Dumas, qui a une bien meilleure réputation que Jean-Marie Le Pen, est tout de même la risée des médias français depuis 1998 avec l’affaire des frégates de Taïwan et la fameuse paire de chaussures à 11 000 FF. Voilà ce que cela donne 12 ans plus tard dans Rue 89 lors de sa visite à Abidjan :
C’est ainsi qu’a été disqualifié un ancien président du Conseil Constitutionnel français pour parler du conflit post-électoral en Côte d’Ivoire ! On ne voit pas trop ce que Marine Le Pen pourrait dire de plus à ce sujet, sinon susciter un florilège de dessins scabreux entre « le détail » de Le Pen et le charnier de Yopougon, dont la Côte d’Ivoire se passerait volontiers !
La visite de Marine Le Pen à Abidjan ne manquerait donc pas d’interroger sur ses éventuelles motivations financières qui passeraient en boucle dans tous les médias: « Avez-vous été rémunérée en tant qu’avocate par Laurent Gbagbo ? » , « Laurent Gbagbo va-t-il financer votre campagne électorale de 2012 comme Houphouët Boigny finançait celles de votre père ? ». Le simple soupçon de financement du FN français par le président Gbagbo serait désastreux. D’une part parce que cela indiquerait que le président Gbagbo n’aurait pas rompu avec les pratiques de la Françafrique qu’il condamne. D’autre part parce que cela laisserait penser qu’il financerait un parti aux forts relents racistes, racisme dont les premiers à en souffrir sont les Africains installés en France. Des écrivains comme Calixthe Belaya ou Gaston Kelman continueraient-ils à soutenir le président Gbagbo, comme ce fut le cas dans ce fameux débat télévisé ?
Si le président Gbagbo a tout à perdre en invitant Marine Le Pen à Abidjan, elle a au contraire beaucoup à y gagner. Cela entrerait dans la stratégie de vampirisation par le FN de certains thèmes alternatifs pour occuper le rôle du « parti antisystème UMPS ». Marine Le Pen à Abidjan semblerait si exotique que cela lui offrirait la couverture médiatique française dont elle a besoin pour sa candidature aux élections présidentielles françaises de 2012. Cela lui permettrait aussi de se positionner sur le champ de la politique internationale, pour sortir de l’ornière franco-française dans laquelle est maintenu le FN à cause de son idéologie xénophobe. La politique française africaine, loin d’être un sujet anecdotique puisque Nicolas Sarkozy n’hésite pas à y mouiller sa chemise, est le corollaire de la politique migratoire en France, ce qui est le cheval de bataille du FN. Les prémices d’une alliance avec le président Gbagbo lui donneraient des arguments contre les accusations de racisme dont le FN est l’objet, et prouverait qu’elle peut trouver des partenaires africain pour mettre en place sa redéfinition des rapports entre la France et l’Afrique francophone. Mais elle ne manquerait pas d’instrumentaliser le fort taux d’immigration en Côte d’Ivoire pour justifier son propre programme électoral, ce dont s’empareraient les médias français pro-Ouattara, agitant aussitôt l’ivoirité et la supposée xénophobie des Ivoiriens. L’équation simpliste Gbagbo = Le Pen permettrait à Ouattara d’endosser le costume de pourfendeur du racisme et de la xénophobie, bien plus populaire auprès de l’opinion française que celui d’affameur des Ivoiriens à la solde du FMI, ce qui donnerait autant d’arguments à Sarkozy en faveur de l’intervention militaire pour l’instant sous le boisseau.
Ce n’est pas parce que la vérité finit toujours par arriver, qu’il faut lui mettre un boulet au pied.
Tandis que l’opinion française sur la crise ivoirienne évolue, lentement mais sûrement, à force d’articles sur le web, d’interventions sur les forums de discussion, de commentaires dans les médias en ligne, l’amalgame Gbagbo – Le Pen compliquerait singulièrement la tache des Ivoiriens qui s’acharnent à expliquer le complot fomenté contre la souveraineté de leur pays. Cela risquerait aussi de faire fuir les Africains qui ce sont engagés avec le président Gbagbo sur le terrain du combat panafricaniste, qui est le seul susceptible de faire reculer Nicolas Sarkozy. L’ennemi de la Côte d’Ivoire n’est pas son voisin Ghanéen, Malien ou Burkinabé, mais le président Français. Ce sont les grandes puissances occidentales qui dénient à la Côte d’Ivoire sa souveraineté, ainsi qu’aux autres pays Africains maintenus esclaves des crédits du FMI. C’est dans ce combat là qu’un opposant sénégalais commeMalick Noel Seck s’engage auprès de Laurent Gbagbo, ce qui est bien plus menaçant pour les agents français tels qu’Abdoulaye Wade, que l’opinion d’une Marine Le Pen qui ne gagnera jamais les élections présidentielles françaises. La xénophobie est incompatible avec le panafricanisme. C’est un discours de rassemblement des Africains qu’il faut tenir, certainement pas celui de la division.
Des journalistes africains engagés pour le soutien de la Côte d’Ivoire
Si le président Gbagbo tient à être soutenu publiquement par un trublion de la politique française, Jean-Luc Mélenchon serait infiniment préférable à Marine Le Pen, non seulement parce qu’il est un vrai socialiste doublé d’un souverainiste, mais aussi parce qu’il jouit d’une forte popularité auprès des médias français. On ne peut donc qu’inviter les autorités ivoiriennes à la plus grande prudence quant aux dangereuses alliances contre nature qu’elles pourraient nouer. Marine Le Pen est certes libre de s’interroger sur la curieuse unanimité de «la communauté internationale» contre Laurent Gbagbo, et on ne peut que l’inviter à lire les médias africains non alignés sur le Quai d’Orsay, ou à écouter son compatriote maitre Ceccaldi qui s’est largement exprimé à ce sujet. Libre à elle de se forger ainsi son opinion et de la donner à qui veut bien l’entendre.
La Côte d’Ivoire a un autre combat à mener que celui du FN français.