Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a immédiatement suspendu deux soldats soupçonnés d’abus sexuels sur enfants au Burkina Faso, une célérité qui tranche avec la prudence observée lors d’un précédent scandale de même nature en Centrafrique.
« Deux soldats français en mission au Burkina Faso ont été soupçonnés, hier (lundi), de s’être livrés à des actes à connotation sexuelle sur deux enfants », a annoncé à l’AFP le ministère français de la Défense.
« Informé de ces soupçons, le ministre de la Défense a immédiatement signalé les faits allégués aux autorités judiciaires françaises compétentes (…). Il a également suspendu les deux soldats », a ajouté le ministère dans une déclaration écrite.
Une des victimes supposées des deux soldats est une fillette de 5 ans, dont les parents étaient amis des agresseurs présumés, a déclaré à l’AFP un haut responsable de la gendarmerie burkinabè.
« Il y a un soldat qui a filmé la scène avec une caméra quand le second effectuait les attouchements », a déclaré cette source proche de l’enquête.
La victime est « une mineure de 5 ans environ dont le père est Burkinabè et la mère Française », a poursuivi le gendarme, ajoutant que « les deux soldats sont des amis de la famille », chez qui ils ont « oublié la caméra » grâce à laquelle ils avaient enregistré leurs méfaits.
Le père de la fillette, après avoir visionné les images, a porté plainte à l’ambassade de France à Ouagadougou, qui a à son tour saisi la gendarmerie burkinabè, selon cette même source.
– Deux enquêtes ouvertes en France –
« Une enquête de commandement a été déclenchée par le chef d’état-major des armées », le général Pierre de Villiers, a annoncé le ministère français. « Si les faits étaient avérés, l’armée se montrerait implacable à l’égard des deux personnes concernées », a souligné le ministère.
Le parquet de Paris a ouvert dans la foulée, dès mardi soir, une enquête préliminaire pour agressions sexuelles sur mineurs, a appris l’AFP de source judiciaire. L’enquête a été confiée aux prévôts de la gendarmerie, chargés des investigations sur les militaires déployés sur les théâtres d’opérations extérieures.
La décision de rendre l’affaire publique de même que la suspension quasi-immédiate des deux soldats, pour l’heure seulement suspects, sont aux antipodes du traitement réservé au premier scandale de viol sur mineurs, qui a écorné l’image de l’armée française.
Jean-Yves Le Drian, informé dès juillet 2014 par les Nations unies d’accusations d’abus sexuels sur des enfants en Centrafrique, avait alors saisi la justice française et lancé une enquête interne, comme au Burkina Faso, mais n’avait pas dévoilé l’affaire ce qui lui fut reproché lorsque le scandale éclata au grand jour fin avril.
Les accusations en Centrafrique, dénoncées dans un rapport interne de l’ONU, ont été révélées in fine par le quotidien britannique The Guardian, suscitant indignation et incompréhension face à une armée qui se veut exemplaire.
– Malaise dans l’armée –
Selon une source judiciaire, 14 militaires français ont été mis en cause, dont trois sont identifiés, par les témoignages de six enfants de neuf à treize ans dénonçant des faits commis au début de l’opération Sangaris entre fin 2013 et fin mai-début juin 2014.
Jusqu’à ce jour, les trois militaires identifiés, qui ont depuis quitté la Centrafrique, n’ont pas été inquiétés au nom de la présomption d’innocence.
« Si d’aventure un seul d’entre eux a commis de tels actes, qu’il se dénonce immédiatement (…) car cela revient à trahir ses camarades, l’image de la France et la mission des armées », avait alors réagi le ministre de la Défense.
Au total 3.000 militaires français sont déployés au Sahel –dont 220 environ au Burkina Faso– dans le cadre de l’opération antiterroriste Barkhane qui s’étend sur cinq pays (Mauritanie, Mali, Tchad, Burkina Faso et Niger).
S’y ajoutent environ 900 soldats en Centrafrique où le contingent initial (2.000 hommes) a été progressivement réduit pour laisser la place à la force de l’ONU (Minusca).
Autre différence notable, la justice burkinabè a été immédiatement « saisie par l’ambassadeur de France à Ouagadougou », a précisé le ministère de la Défense. A Bangui, les autorités de transition ont déploré n’avoir été informées que tardivement de l’enquête française sur des viols présumés d’enfants par des militaires français.
L’affaire centrafricaine a aussi suscité un certain malaise au sein de l’armée française qui redoute que ce genre d’accusations, fondées ou pas, ne se multiplient et n’ouvrent la porte à tous les dérapages.
« Soit ces affaires sont avérées, auquel cas c’est extrêmement grave (…). C’est toute une armée qui en prend plein la figure », relève le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Jean-Pierre Bosser. « Soit ce n’est pas avéré et c’est aussi grave (…). Tous nos soldats sont assimilés à des violeurs d’enfants. »
VOA