«Je suis correspondant en France pour un quotidien colombien, El Espectador. Vendredi matin, quand j’ai réalisé cette vidéo, je venais de passer la nuit à Beaumont-sur-Oise, où des jeunes avaient manifesté toute la nuit pour réclamer des explications concernant la mort d’Adama Traoré après son arrestation par des gendarmes.
«Dégage, ici, c’est moi qui commande»
«Ce jour-là, j’ai eu l’impression qu’il y avait deux polices. Côté droit du métro aérien, les policiers avaient une attitude très professionnelle. Ils étaient polis avec les gens. J’ai vu un agent dire gentiment à un migrant ivre de s’asseoir et de se calmer. En revanche, à l’autre extrémité du cordon, à la gauche du métro, la situation était toute autre. Le tutoiement était la règle: on entendait des « casse-toi ».
«Puis surviennent quelques bousculades, car des gens essayent de sortir. A ce moment-là, j’entends une dame qui parle très fort. Elle dit des choses en arabe en mélangeant des mots d’anglais. Elle est voilée. Elle a une poussette avec un enfant âgé de 2 ans. Elle parle au téléphone avec quelqu’un qui se trouve à l’intérieur du campement. Des témoins qui comprennent l’arabe expliqueront plus tard que cette femme souhaite rejoindre la personne avec qui elle parle au téléphone. Et qu’elle a des affaires et des documents à récupérer à l’intérieur du campement.
«Il y a un premier accrochage. Un policier donne des coups de pied aux roues de la poussette. Des collègues lui disent de se calmer et il recule. Deux minutes plus tard, j’entends encore la dame qui crie fort. Je décide alors de filmer avec mon appareil photo. La dame s’adresse à une policière qui lui répond en anglais. A ce moment-là, un deuxième policier s’avance et la pousse violemment en hurlant « casse-toi », « dégage », « ici, c’est moi qui commande ». La dame voilée se met à crier. Le policier qui avait donné le coup de pied à la poussette rigole avec un de ses collègues. La dame à la poussette crie très fort. Elle tend son passeport à la policière qui parle anglais. Cette dernière lui dit: « I’m sorry, I can’t do anything » (« Je suis désolée je ne peux rien faire »).
«Ensuite, la dame à la poussette se met sur le côté car un bus chargé de migrants sort du campement: deux motos de police lui ouvrent la voie. Moi, je me retrouve d’un côté de la rue et elle, de l’autre côté. Passent l’autobus, d’autres voitures banalisées et encore des motos. Quand le passage du convoi se termine, la dame n’est plus là. J’ai perdu de vue la personne que j’avais filmée pendant près de deux minutes».
L’article intégral dans Libération