J’emprunte au philosophe Merleau Ponty le titre de cet article à la titrai ture de son livre : la chair du monde , en dénonçant le discours vénéneux d’un prêtre catholique qui s’attaque à ses supérieurs hiérarchiques que sont les évêques. Ce faisant, il remet en cause son vœu d’obéissance qui est l’un des piliers des ordres de la Compagnie de Jésus puisqu’on m’a dit que Jean Claude Djéréke est jésuite .J’ose espérer que l’Abbé Obrou qui joue le Monseigneur Marcinkus, du nom du gros bras du Pape Jean Paul II, quand il s’agit de défendre l’honneur de l’Eglise Catholique saura en temps opportun, rappeler ce prêtre ,militant à l’ordre.
La chair du monde comme l’écrivait Jean-Claude Guillebaud, c’est le réel, derrière son reflet, la concrétude des choses, du discours en lieu et place des verbiages quotidiens, la certitude de l’immédiateté. Je pensais à ces contraires en lisant l’article du prêtre ? Basile Djéréké, animateur des chroniques parfois acidulées dans les journaux proches de l’opposition ivoirienne
«Un prêtre /docteur en sociologie, vient encore raviver le débat sur la religion et la politique dans un pays en proie à des coups d’Etats permanents depuis 1999 selon les termes d’un homme politique français.
Je me serais bien volontiers départi de cet article si Jean Claude Djéréké avait été un simple homme politique ou un simple docteur en sociologie .Mais, il est prêtre selon l’ordre de Melchisédech/ et universitaire de surcroît/un sociologue dont le discours fait autorité.
C’est peu dire qu’il nous ramène -et superbement –à chair du monde qui est le fondement de l’existence humaine. D’ordinaire, lorsqu’un homme vient raviver le débat, il suggère implicitement l’existence d’une vérité dissimilée, d’une tricherie occulte. Dans le cadre précis, le discours révèle ce que notre hâte, nos préjugés, ou notre étourderie collective nous empêche de percevoir. Cet article peut être subsumé en trois parties :
la contestation d’une démarche humaine
la corruption des guides religieux
l’impossible réconciliation ivoirienne
Dans la première partie, le ‘’prêtre savant’’ assène des vérités sur la cupidité et la veulerie des évêques, les prêtres et les pasteurs religieux guidés par des considérations « bassement matérielles’’ et qui n’hésitent pas à faire des « courbettes et des basses flatteries’’ pour avoir les faveurs du maître du palais présidentiel du Plateau .La première lecture qui s’impose est le faire négateur des guides religieux disqualifiés spirituellement et moralement .S’ils sont cupides, ils n’en sont pas veules d’autant qu’ils font des courbettes et disent des contrevérités. Ce que le prêtre suggère implicitement, c’est que les évêques, ses supérieurs hiérarchiques, ne méritent ni considération ni respect puis qu’ils ne sont nullement dignes de la fonction qu’ils exercent.
On le voit clairement, c’est une délégitimation de l’exercice du pouvoir sacerdotal. Plus qu’il ne le dit, le prêtre, docteur la considère comme de faux dévots, des hommes qui ne représentent pas l’orthodoxie. Ce sont plutôt des imposteurs qui usurpent le pouvoir des hommes intègres. Il aurait fallu qu’on les déchargeât de leurs missions apostoliques. Puisqu’ils n’en sont pas dignes .Un simple prêtre, du fait de ses humeurs partisanes, décharge ses supérieurs de leurs rôles apostoliques. Un pouvoir dont détient le pape…Comme quoi, Jean Claude Djéréké est un « papabile », à même de faire la promotion ou de déchoir un évêque de son siège épiscopal. Un monde à l’envers dans une société ivoirienne où les curés d’Ars jouent les rôles de premier plan. Ils ne leur reste qu’à nommer des nouveaux évêques sur la base de leurs considérations partisanes. Vive Jean Claude Djéréké, évêque auxiliaire …du Palais Castelgondolfo.
Sous les clapots de l’actualité, les houles sociologiques, le réquisitoire contre l’argent et les richesses du monde laisse poindre une série d’exclamations sentencieuses et de gloussement de la part d’un prêtre ‘’janséniste’’ qui laisse le lecteur sans voix. Il est puéril de dénoncer l’argent, et démagogique de flatter les pauvres. Car les prêtres (dans les ordres) me font penser à un tableau drolatique d’une élite (de prêtre) épanouie, emmurée dans leurs privilèges et certitudes qui n’a pas besoin de l’argent des pauvres africains mais plutôt de riches donateurs blancs.
Jean Claude Djéreké, n’est pas un curé d’ARS. Pas plus qu’un prêtre diocésain qui n’a besoin des mânes du Président Ouattara et ses sbires et ses religieux s’attirant les mêmes moqueries comme celle que Bossuet adressa à la Cour en 1662 quand il s’en était pris sans commune mesure au roi. On croit apercevoir dans ce discours du prêtre sociologue une sort d’ archaïsme ‘’catho’’- qui soutient que ‘’l’odeur de l’argent empeste chaque pays’. On retrouve ces genres d’admonestations identiques chez les bouddhistes, les musulmans ou les athées. Mais ce que le prêtre militant oublie de révéler, c’est que du temps de son mentor Gbagbo, des guides religieux certainement de son bord « aimaient les dons corrupteurs et courrai(ent) après les gains illicites ». A malin, malin demi…
Aujourd’hui, le prêtre /docteur indique le mouvement inverse. Les hommes de Dieu doivent s’éloigner des hommes du pouvoir comme le laisse accroître l’absurde théorie de la corruption du pouvoir. Le pouvoir corrompt, dixit « le philosophe.
Pour sûr, le prêtre docteur tient un discours sur le monde religieux à partir de ses propres perspectives qui illustrent l’ancienne centralité de l’Occident (l’Europe VS l’Afrique) qui se fonde a contrario sur le respect ou non des morts. On pourrait le renvoyer aux textes fondateurs de Birago Diop et Peguy sur l’ode à la mort…
Au-delà, de toute cette rhétorique, c’est la contestation d’un faire humain (les guides religieux qui ont été dire « Yakro à Ouattara’’. Et le prêtre assimile l‘acte à une nouvelle aliénation, associée à la spéculation, la prédation, la vulgarité et au règne de l’argent sous toutes ses formes. L’ère du soupçon pointe…en filigrane dans un univers où les gens (les guides religieux sont à l’abri du besoin primaire)
Si le prêtre savant ne le dit pas implicitement, il n’y a aucun doute, selon ses propres perspectives, que si les guides «religieux détricotent la religion ses propos détricotent plutôt l’esprit de résistance» à travers ses schémas culturels.
Cette fermeté tranquille de Jésus «Laissez-les morts enterrer les morts» désigne non seulement les adversaires : évêques, pasteurs et prêtres «mais aussi la petite élite de l’argent « Ouattara et ses sbires. » Si le prêtre docteur fustige les comportements insidieux des guides religieux, il défend les droits des pauvres sous le nouveau masque d’un « missionnaire » invétéré.
Se saisir d’une évidence, la pousser jusqu’au bout, en montrer l’illogisme, la retourner en son contraire, Jean Claude Djéréké se présente comme un as de la diagonale, une virtuose du paradoxe qui sait ce qu’est la casuistique chrétienne.
Il sait que les religieux n’ont pas joué un bon rôle dans la crise ivoirienne, mais ne demande pas pardon. A travers chaque reproche infondé, calomnieux, adressé à la bande du président Ouattara et ses courtisans, il donne une image positive de lui-même (un homme au-dessus de tout soupçon qui ne brade ni honneur ni piété).
Un aveu bien involontaire, car son système de relation repose sur le déni qui est l’occultation d’une partie de la réalité. «Jusqu’ici, en effet, nous ne savons pas qui a gagné vraiment les élections» dixit le prêtre.
Le narrateur-locuteur implicite opère une transformation rhétorique(le je subjectif devient un collectif (nous) je+non je =nous) plus objectif dénotant la nombrabilité de ceux qui doutent du succès du président Ouattara contre l’ex président qui est donné par antonymie, pour vainqueur des récentes élections. Autre caractéristique : «sa façon de désigner le président Ouattara avec des comparaisons salaces et du sarcasme. Il le désigne l’Autre par petits touches : discursives qui dénotent la défiance« Une justice aux ordres vient de juger ceux qui auraient ? tué Robert Guéi et Adam Dosso».
Rien n’est plus « blessable » qu’un pervers non pathologique attaqué par un narcissisme pervers comme l’eût Paul-Claude Racanier qui proposa cette définition :«Le mouvement pervers narcissique est une organisé de se défendre de toutes les douleurs et contradictions internes, tout cela aux dépens d’autrui et non seulement sans peine mais avec jouissance ‘’
Et le défenseur de Gbagbo de poursuivre son discours en ces termes :«Il n’aurait pas peur du recomptage proposé par son adversaire et vainqueur par le conseil constitutionnel conformément à notre loi fondamentale non par une commission électorale qui était loin d’être indépendante»
Cette acrobatie psychiatrique qu’est la perversion narcissique tend à disqualifier l’Autre et à donner une image positive de soi et de ses partisans présentés comme des victimes expiatoires de la machination de l’Autre qui foule aux pieds les principes fondamentaux sur lequel repose le socle de la société.
Cette obsession de défendre les anciens collaborateurs/et non les sbires/ de Gbagbo en prison qui subissent «des traitements dégradants et inhumains», Le prêtre docteur se hisse au- dessus de tout le monde dans son rôle «de défenseur des humiliés) et de représentation, où son bel habit (sa soutane blanche) son embonpoint et ses allures d’un homme ayant réussi (ses gaffas), le présentent comme un homme dénué de tout intérêt « politique et social) .
Or, c’est parmi les manipulateurs qu’on trouve les plus grands imposteurs, mystificateurs des temps des modernes. Nulle mention sur les dérives des collaborateurs de Gbagbo qui «ont tué» et qui exigent la clémence du président Ouattara. La problématique ici, relève de la justice et de la police. Espérer donc obtenir un aveu des collaborateurs et partisans (au nombre duquel se trouve Jean Claude Djéréké) apparaît illusoire. Il eût été bon que le prêtre /dénégateur ne portât aucun gant pour poser la question du Bien et du Mal. Mais il manie bien la langue dans une subtile alternance, de maltraitance et de tendresse pour écarter le débat. Il observe la souffrance de l’Autre avec indifférence (Guei +Adama Dosso) et pleure sur le sort des partisans de l’ex-président IB, Daly Loula, et Dali Oblé, ses cousins. Le manque d’empathie de l’Autre pour le prêtre est fondamental. Sous un angélisme apparent, le discours du prêtre dénégateur devient un discours péremptoires voire objectivables.
Son véritable visage apparaît brutalement. Atteint du syndrome Dorian Gray. Il relit l’histoire commune à la lumière de ses nouvelles attaches politiques : «un prêtre militant LMP». Cette prise de position qui ne dit pas son nom est un terreau fertile à la « prédation morale ».Elle est symptomatique d’un rapport à l’Autre qu’il vampirise et «anémise».
La dureté de ton du prêtre, par rapport à sa fonction première (prêtre prêchant la parole de Dieu) le présente comme un serial killer en perspective. Il est un extincteur de vie, parce qu’il n’a pas «l’amour du prochain». Par sa remarquable duplicité, il annonce l’impossibilité d’une réconciliation attendue. En fait, l’homme de Dieu est une autre victime «de la saleté» de la politique. Comme l’eût écrit Mgr Desmond Tutu.
Pour masquer, son discours irrévérencieux, il convoque la subversion de l’écriture biblique, je l’invite à relire les textes conciliaires : le lumen gentium et le populorum progressio.
Les propos du prêtre témoignent du manque de solidarité du clergé catholique avec les artisans de paix qui souhaitent ardemment la réconciliation. Si les prêtres ivoiriens ne veulent pas de la paix qu’ils nous le tiennent pour dit .Ces propos guerriers, provocateurs et déstabilisateurs en disent long sur l’état d’une société éventrée par mille maux, mille promesses de déstabilisation sans lendemain, et mille slogans à l’emporte-pièce.
Au-delà, des dérives du discours du prêtre docteur, se pose la question de notre incommensurable besoin de réconciliation. Si des prêtres catholiques n’en veulent pas et qui souhaitent le saborder, ils trouveront sur leur chemin des hommes épris de paix.
Jean-Baptiste KOUAME