Les vraies raisons de la disgrâce de Bongo Fils
Ali Bongo a peut-être l’art de se faire des ennemis. Il sert des redressements fiscaux aux groupes pétroliers français, met fin au partage de la manne des caciques du régime, et fait venir des sociétés asiatiques. Tout celà c’est bien. Mais, n’est-ce pas trop de sacrifices sur l’autel du changement?
Son statut de « fils de » occulte mal la carrière d’Ali Bongo Odimba. C’est en 1989 qu’il devient ministre des Affaires étrangères. « Trop jeune pour une si prestigieuse fonction », disent les critiques ; Ali n’avait que 30 ans. Consensuel comme toujours, son père, Omar Bongo, fait voter un changement de la Constitution qui relève l’âge minimum pour être ministrable à 35 ans. Ali n’aura resté à la tête de la diplomatie que deux ans. 35 ans, c’est l’âge exact de Pascaline, de trois ans l’aînée d’Ali. Elle héritera de la fonction pour devenir l’une des personnes les plus influentes du régime d’Omar Bongo.
De l’ombre à la Défense
Pendant ce temps, Ali est presque dans l’ombre, ou plutôt dans l’ombre de son père qui lui confie des missions personnelles et l’associe à beaucoup de réunions importantes. Le fils Bongo ne reviendra au devant de la scène qu’en 1999.
Il entre par la grande porte, puisqu’il occupe désormais le ministère de la Défense. Pendant 10 bonnes années, jusqu’à la mort de son père, Ali est là. Suivant le ballet incessant des diplomates, des valises de la Françafrique qui défilent sous son nez, mais également des caciques du régime dont l’unique but « est de se servir et non servir le Gabon », comme il le dit lui-même.
Quand en 2009, Nicolas Sarkozy soutient son élection en appelant les mammouths du Parti démocratique gabonais à l’adouber comme candidat, il pensait certainement avoir un jeune facilement manipulable et très peu au fait des réalités économiques. Un novice en quelque sorte. C’est mal connaitre ce jeune cinquantenaire. Ali nourrissait depuis toujours son désir de changement : couper le cordon ombilical colonial, arrêter la gabegie, lancer une nouvelle stratégie de diversification de l’économie, doter le pays d’infrastructures modernes. La mise en œuvre des trois premiers points de son plan ne se fera pas sans sacrifice. Et, il faut le dire, Ali ne prend pas de gants.
Mettre fin aux prébendes
Il commence déjà par s’entourer de personnes de confiance. « Des étrangers, rien que des étrangers », lanceront ses détracteurs, Jean Ping en premier. Ali lui répondra que si le Gabon ne savait pas adopter de nouveaux fils, le père Ping, arrivé de la Chine dans les années 1930, ne se serait jamais fait une place.
Actuellement, son directeur de cabinet Maixent Acrombessi est d’origine béninoise, même s’il a la nationalité gabonaise. Il siège dans beaucoup de conseils d’administration où il est les yeux et les oreilles du chef de l’Etat. Il permet ainsi d’éviter des pratiques héritées d’un autre âge. Cela ne plait pas à tout le monde et crée à Ali des inimitiés.
Alors président de l’Assemblée nationale, Guy Nzouba-Ndama aura une vive altercation, dans le bureau même de la présidence, avec l’homme que l’on accuse de diriger le Gabon, tant sa présence gêne. Nzouba Ndama demandera alors de ne plus être reçu par Ali Bongo en présence de Maixent. Il en sera ainsi.
Des partenaires contre les intérêts français
Toujours dans cet objectif de rupture, Ali ira chercher de nouveaux partenaires, mettant en concurrence des entreprises asiatiques ou nord-africaines avec les entreprises françaises. Il en sera ainsi dans le pétrole dont le Gabon est le quatrième producteur subsaharien, après le Nigéria, l’Angola et le Congo. Ainsi, dès 2009, le chinois Sinopec rachète Addax. Il suffit de voir la nationalité des entreprises qui prospectent actuellement au Gabon pour savoir qu’Ali Bongo cherche une réelle diversification.
D’après le Trésor public français, « on recense la présence d’une dizaine de compagnies actuellement en phase d’exploration » et aucune d’elles n’est française. Il y a les entreprises chinoises Sino Gabon Oil and Gas et Sinopec Overseas, la sud-africaine Sasol, les américaines Forest Oil et Anadarko, l’australienne Sterling Oil, la canadienne Canadian national resources, qui a racheté les actifs de Pionner, la japonaise Mitsubishi Petroleum, la britannique Ophir et enfin l’indienne Oil India international.
Retenir les recettes du pétrole
Ali Bongo veut que désormais 40% des recettes du pétrole restent au Gabon, contre 20% auparavant. Dans cet objectif, dès 2010, il crée « la Société nationale de pétrole, dénommée Gabon Oil Company (GOC), dont la vocation consiste à développer les participations de l’Etat gabonais dans le secteur pétrolier », affirme toujours le Trésor français, qui suit avec beaucoup d’intérêt tous ces changements pas forcément dans l’intérêt des entreprises françaises comme Total, Maurel et Prom.
Rattachée à la Présidence de la république, et sous tutelle de la Direction générale des hydrocarbures, la GOC veille au grain, ou plutôt à l’or noir et au gaz. Aujourd’hui, la GOC commercialise directement sur les marchés internationaux 7 millions de barils par mois pour le compte de l’Etat gabonais.
Mais ce qui a le plus mis en rogne les groupes français, ce sont les contrôles fiscaux et le redressement qu’ils ont subis. Ainsi, en 2014, le fisc gabonais a réclamé quelque 805 millions de dollars à Total. Ce redressement a fortement détérioré les relations avec cette multinationale qui a bien sûr activé tout ce que la Françafrique compte en réseaux occultes pour résoudre le problème, y compris « à l’amiable ».
Des décisions qui irritent les ex-barons
Ces changements ne sont pas pour plaire à beaucoup qui ont longtemps vécu avec un Omar Bongo prêt à redistribuer l’argent du pétrole pour calmer les velléités d’où qu’elles viennent. Et, Ali n’est pas un bon diplomate. Ses deux ans passés au ministère des Affaires étrangères ne lui ont pas servi à savoir trouver des conciliabules. Il est trop direct, têtu et n’écoute pas ses aînés, mais surtout il veut marquer de son empreinte son passage à la présidence gabonaise. Pour ses détracteurs, il cherche la gloire et veut se l’attribuer tout seul. Alors, il écarte tout le monde. En tout cas, Ali agace.
Jean Ping en fera également les frais. Omar Bongo a usé de son influence pour le faire nommer président de la Commission de l’Union africaine en 2008. Mais, quand en 2012, il cherche à un deuxième mandat, les autorités françaises ont pesé de tout leur poids, allant jusqu’à s’opposer frontalement à l’Afrique du Sud. Pendant ce temps, Ali n’aura rien fait pour qu’il y arrive. D’aucuns disent qu’en coulisses, le président gabonais s’y est opposé. Quand l’opposant crée Ping&Ping, un cabinet de consulting avec son fils, il ne réussit à décrocher aucun marché au Gabon. Son carnet d’adresses constitué surtout de chefs d’Etat ne lui sert à rien.
La fin de la relation avec Ping
Ping soupçonne alors des interventions, ces fameux coups de fil qui ont le don d’annuler les meilleures promesses. Et puis, il y a les sorties incessantes de l’un et de l’autre, s’échangeant des politesses de charretiers. Lui: « c’est moi qui l’ai aidé à devenir directeur de cabinet d’Omar Bongo ». L’autre: « Il se sent plus à l’aise à l’étranger, à voir ses nombreux déplacements laissant le Gabon entre les mains d’une régence, que les Gabonais appellent Légion étrangère ». Depuis 2014, ce sont de pareilles amabilités qu’ils continueront à s’échanger par presse interposée.
Et puis, il y a toutes ces personnalités qui se partageaient jadis la manne financière et à qui les prébendes ont été ôtées. Elles se sont toutes liguées contre lui. A Ali tous les moyens de l’Etat. A eux, il ne reste plus que la parole. Leurs critiques frolent la calomnie et l’insulte. Alors, « Ali n’est pas gabonais » est devenu leur crédo, surtout après la sortie du livre de Claude Péans tendant à en apporter la démonstration. Ils iront jusqu’à demander qu’Ali Bongo se soumette à un test ADN. Offense que le président gabonais ne pardonnera pas.
Ali aurait pu se rappocher de ses opposants, comme le lui conseille la sagesse africaine. Mais ceux qui ont eu l’occasion de le lui demander se sont vu rabattre le caquet. « A insulte publique, excuse publique », dira-t-il, demandant que ceux qui l’ont traité de tous les noms aillent à la télévision pour se faire pardonner.
Ali Bongo est même opposé à sa grande soeur Pascaline, à qui tout a été enlevé. Alors que c’était la personne la plus influente du clan Bongo, présidant aux destinées de Gabon mining logistics, siégeant dans les conseils d’administration de sociétés comme Total Gabon ou BGFI Bank. Aujourd’hui, Ali l’a nommée aux affaires personnelles, une sorte de mise au placard.
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