JEUNE AFRIQUE: On vous a peu entendu pendant la crise postélectorale.
Pourquoi?
Mamadou Koulibaly : Je n’avais pas le choix. Ma présence n’était pas désirée;
l’Assemblée nationale ne fonctionnait plus. Mais aujourd’hui, j’ai la lourde
responsabilité d’assurer la présidence par intérim du FPI. Cela m’oblige à rassurer les
militants, à aider à la libération des cadres du parti qui ont été arrêtés et à faciliter le
retour des exilés.
Êtes-vous en contact avec les cadres du parti en exil?
Oui, notamment avec Kadet Bertin, qui est au Ghana. Aussi surprenant que cela
puisse paraître, il est l’un des premiers à avoir reconnu notre défaite et il souhaite
qu’on tourne rapidement la page. J’ai aussi rendu visite à ceux qui sont en résidence
surveillée à l’hôtel de La Pergola à Abidjan: Alcide Djédjé, Dano Djédjé, Philippe-
Henri Dacoury-Tabley … Ils reconnaissent Alassane Ouattara comme chef de l’État et
me demandent de plaider leur cause auprès de lui. Ils promettent de ne pas perturber
son travail. Certains se mettent même à sa disposition.
Avez-vous des nouvelles du couple Gbagbo?
Non. On ne m’a pas permis de les rencontrer. J’en ai parlé avec Charles Konan Banny,
qui préside la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. Il prévoit d’aller les
voir prochainement et m’a promis de tout faire pour que je puisse leur rendre visite.
À quand remonte votre dernier contact?
J’ai rencontré Laurent Gbagbo quelques jours après le retour de Pascal Affi Nguessan
d’Addis-Abeba [rencontre avec le panel des cinq chefs d’État, le 1l mars, NDLR]. Je
lui avais conseillé d’accepter le verdict de l’Union africaine.
Laurent Gbagbo a-t-il, selon vous, perdu l’élection présidentielle?
Il a fini par reconnaître sa défaite. D’ailleurs, le 11 avril, il a demandé à Désiré Tagro
[alors secrétaire général de la présidence, NDLR] de sortir avec un mouchoir blanc.
N’était-ce pas plutôt la reconnaissance d’une défaite militaire?
C’est la continuation du résultat électoral. Nous avons dénoncé la fraude, dans
le nord du pays. Nous sommes les premiers responsables, car le FPI n’avait pas
de représentant dans de nombreux bureaux de vote. Nous avons réalisé une très
mauvaise campagne électorale, mal organisée. Il n’y avait pas de stratégie, pas de
discours cohérent, et trop de personnes étaient en première ligne, avec des moyens
colossaux mais mal utilisés. Certains cadres n’ont pas travaillé; ils ont détourné de
l’argent pour acheter notamment des véhicules.
Le pouvoir leur est-il monté à la tête?
Le problème, c’est l’usure du pouvoir. Lorsque nous étions dans l’opposition, on
faisait mieux avec moins de moyens. On rêvait d’une nouvelle Côte d’Ivoire et on
déplaçait des montagnes. Dix ans plus tard, nous étions pleins de fric. On disait qu’on
voulait ouvrir le marché ivoirien au monde entier mais, dans les faits, on a fait des
deals avec les plus grosses entreprises françaises. Alassane Ouattara a proposé une
vision plus cohérente.
Sur quelles bases faut-il reconstruire le FPI?
La priorité, c’est de refaire du FPI un grand parti d’opposition. Cela veut dire qu’il
faut dresser un bilan en profondeur, prendre des dispositions institutionnelles,
remobiliser les militants et donner des signaux forts aux Ivoiriens, en modifiant
complètement notre discours et nos méthodes. Il faut revenir aussi à plus d’humilité et
reprendre le travail à la base. Ensuite, on pourra peut-être penser à organiser un grand
congrès du parti.
Que pensez-vous des poursuites judiciaires et des sanctions financières engagées
contre le camp Gbagbo?
La justice n’est pas un problème en soi. Si Koulibaly ou d’autres sont coupables, ils
méritent de payer pour leurs actes. Mais dans ce cas, il faut enquêter sur tous les
crimes de sang et tous les crimes économiques perpétrés depuis 2002. Je crains que
l’on ne prépare quelque chose de spécial pour Gbagbo et ses compagnons. On peut
dire qu’ils ont braqué la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, à Abidjan.
Mais les banques ont également été dévalisées dans la zone nord. Si Ouattara cherche
à se venger, il va créer de nouvelles frustrations.
Simone Gbagbo a-t-elle persuadé son époux de s’accrocher au pouvoir ?
Je ne pense pas que quelqu’un puisse influencer Laurent Gbagbo. Il est toujours resté
maître de ses actes. Mais tous, les militants, les cadres, se demandent pourquoi il
s’est à ce point entêté, à la limite de l’irrationnel. Pendant la cérémonie d’investiture
de Ouattara, je me suis mis à rêver. Laurent Gbagbo était en train de lui remettre les
insignes de la République. Cette passation aurait ancré la démocratie dans notre pays.
Cinq ans plus tard, il avait toutes ses chances pour redevenir président.
Dans quel état d’esprit sont les militants du FPI ?
Ils craignent pour leur sécurité. Je reçois régulièrement des messages de détresse.
En tant que président de l’Assemblée nationale, avez-vous reçu des garanties du
président Ouattara ?
Il a promis d’assurer la pérennité des institutions. Mais, dans le même temps, il m’a
fait savoir que son conseiller juridique considérait que mon mandat avait pris fin avec
l’élection du 28 novembre 2010.
Acceptez-vous que le chef de l’Etat, dont le parti n’a pas de représentant à
l’Assemblée nationale, puisse gouverner par ordonnance et par décret jusqu’aux
législatives ?
C’est une situation intolérable. Le mandat des députés expire après l’élection de
la nouvelle Assemblée. Le nouveau président a prêté serment et doit respecter la
Constitution. Il n’y a effectivement pas de députés du RDR (Rassemblement des
républicains, NDLR), mais ses alliés du RHDP (Rassemblement des houphouétistes
pour la démocratie et la paix, NDLR) occupent la moitié de l’hémicycle.
Se dirige-t-on vers une hyperprésidence ?
C’est mon sentiment. C’est la raison pour laquelle nous n’avions pas intérêt à entrer
dans ce gouvernement d’union. Dans ce système, les présidents se sentent obligés
d’avoir des « shadow cabinets » pour diriger. Gbagbo n’aurait jamais dû accepter
-je le lui avais dit- les accords de Marcoussis, qui sont l’origine de ce mode de
gouvernance.
Quel doit être le chantier prioritaire du nouveau président ?
La refonte de l’armée. L’insécurité règne et le phénomène de racket est pire qu’avant.
Le président Ouattara a appelé les militaires des deux camps à se considérer
désormais comme des frères. Il faut poser des actes qui le montrent vraiment. C’est
comme une maison à reconstruire. Nous avons les briques. Encore faut-il qu’elles
soient positionnées de manière à ce qu’il y ait des chambres, des toilettes et un salon !
Alassane Ouattara a dit à Nicolas Sarkozy que l’armée française était la
bienvenue. Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes indépendants depuis plus de cinquante ans. Il n’est pas dans notre
intérêt d’entretenir ce type de relation infantilisante. Les accords de défense devront
donc être révisés.
Selon vous, quelles sont les priorités économiques de la Côte d’Ivoire ?
L’Etat a quasiment disparu. Il faut redéployer l’administration sur l’ensemble du
territoire, mais, pour cela, il faut rétablir la sécurité. On doit aussi faire en sorte qu’il
n’y ait plus d’administration parallèle, celle des FN (Forces nouvelles, dans le Nord,
NDLR) en l’occurrence. En fait, ce sont les mêmes problèmes qui se posaient à
Gbagbo.