Par Raphaël MVOGO
YAOUNDE, 24 décembre (Xinhua) — Une mission ivoirienne au Cameroun appelle au soutien pour Laurent Gbagbo, sous le coup des pressions de puissances mondiales et de l’ONU après sa victoire au second tour de la présidentielle déclarée par le Conseil constitutionnel, au détriment d’Alassane Ouattara annoncé plutôt vainqueur par le président de la Commission électorale indépendante (CEI).
Officiellement, le pouvoir du président camerounais Paul Biya n’a pas indiqué sa position au sujet de cette crise. Aucun message, comme cela est de coutume, n’a été adressé ni à Laurent Gbagbo, présent à Yaoundé en mai lors du cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun aux côtés d’autres chefs d’Etat africains, ni à Alassane Ouattara, reconnu président élu par l’ONU et des puissances mondiales.
Membre de cette mission ivoirienne, Pierre Dagbo Godé, professeur de sciences politiques à l’Université de Cocody à Abidjan dans la capitale de Côte d’Ivoire, a annoncé dans un entretien à Xinhua jeudi soir à Yaoundé une offensive diplomatique du président Gbagbo pour dissiper la crise post-électorale qui déchaîne des passions en Afrique, à l’exemple du Cameroun.
Question : Quel est l’objet de votre visite au Cameroun ?
Réponse : C’est une mission d’information et de sensibilisation sur les problèmes post-électoraux qui se posent dans notre pays. Depuis que le Conseil constitutionnel a proclamé les résultats définitifs, il ne se passe pas un jour sans qu’on assiste à une ingérence d’Etats étrangers, d’une communauté dite internationale dans les affaires internes de la Côte d’Ivoire. Se basant sur des résultats, encore qu’on ne peut pas les appeler résultats, sur des déclarations nulles et de nul effet faites par le président de la Commission électorale déclarant M. Ouattara vainqueur de l’élection, celle-ci s’engage à faire des pressions, demande le départ du président Gbagbo, etc. Alors, nous sommes venus informer les Camerounais sur la réalité en Côte d’Ivoire, sur le rôle de la CEI et du Conseil constitutionnel. La Commission électorale annonce les résultats provisoires et le Conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs. Laurent Gbagbo est le président élu de la République de Côte d’Ivoire, il faut s’en tenir à cela.
Q : Comment gérez-vous les pressions de ce qui est convenu d’appeler la communauté internationale, c’est-à-dire les Nations Unies et les puissances mondiales ?
R : A partir du moment où force doit rester à la loi, l’Etat de Côte d’Ivoire s’est lancé dans une offensive diplomatique et comme la diplomatie ne se fait pas sur la place publique, je pense que les jours à venir nous situeront. Mais le plus important et la chose sur laquelle aucune concession n’est possible en Côte d’Ivoire, c’est l’ingérence de certains Etats, l’ingérence de la communauté internationale dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire. Parce qu’il faut le relever, le représentant des Nations Unies n’a pas un mandat exécutif en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire n’est pas sous tutelle de l’ONU, comme ce fut le cas du Kosovo ou du Timor oriental où le représentant de l’ONU avait un mandat exécutif, c’est-à-dire qu’il administrait l’Etat. Cela veut dire que toutes les actions de M. Choi doivent tenir compte de la souveraineté de la Côte d’Ivoire et de sa Constitution, comme le disait la résolution elle-même qui créait l’opération des Nations Unies. Le président Gbagbo l’a dit lui-même, aujourd’hui il demande qu’une mission d’évaluation post-électorale arrive en Côte d’Ivoire. C’est une des voies diplomatiques qu’il faudra explorer et nous espérons que ces voies-là seront entendues et qu’elles porteront leurs fruits.
Q : On dit le président Gbagbo et son gouvernement de plus isolé suite aux sanctions annoncées ça et là et l’incapacité de pouvoir tenir financièrement pendant longtemps.
R : Depuis hier (mercredi), on a payé les salaires en Côte d’Ivoire. Tous les travailleurs ont été payés. La Côte d’Ivoire, c’est quand même 40% du PIB (produit intérieur brut) de l’UEMOA, l’espace communautaire et monétaire ouest-africain. La Côte d’Ivoire, c’est une économie qui travaille. C’est un pays dont la communauté internationale elle-même a reconnu la bonne gouvernance, puisque nous sommes arrivés au point d’achèvement du programme des pays pauvres très endettés. Nous sommes restés quand même de 2002 à 2004 sans aide extérieure. C’est là que nous avons créé le concept de budget sécurisé. N’oublions pas que les relations internationales reposent sur des relations d’ intérêt. Il y a des Etats dans la communauté internationale qui ont intérêt à ce que la Côte d’Ivoire sombre dans le chaos. Mais, les Ivoiriens en ont pris conscience, ils sont au travail, la vie a repris à Abidjan, le couvre-feu a été levé, les commerces ont rouvert.
Q : Mais l’on a appris également que la BCEAO a annoncé son intention de bloquer les comptes de la Côte d’Ivoire.
R : Le président de la BCEAO a déjà répondu à cette question de façon formelle. La BCEAO reconnaît la signature de l’Etat de Côte d’Ivoire. Et celui qui incarne les institutions de la Côte d’Ivoire, c’est le président Laurent Gbagbo.
Q : Guillaume Soro a annoncé le recours à l’option militaire. Un nouveau conflit est-il évitable ?
R : Guillaume Soro, c’est un rebelle. On ne peut pas l’appeler autrement. Et la vocation d’un rebelle, c’est la lutte armée. Un rebelle ne s’assoit pas sur une table pour discuter. Donc, il est dans sa logique normale. Les Ivoiriens lui ont donné une chance de sortie de crise avec l’accord politique de Ouagadougou. Malheureusement, lui et M. Ouattara n’ont rien compris. Ce qu’il faut savoir est que le camp Ouattara ou le camp Soro n’est pas en mesure de mener une action militaire sur le territoire ivoirien. C’est la raison pour laquelle ils sollicitent une intervention militaire de la communauté internationale. S’ils étaient aussi forts que ça, aujourd’hui il n’y a plus de force tampon, ils ont leurs forces au Nord de la Côte d’Ivoire, ils seraient descendus prendre le pouvoir à Abidjan.