La bande audio d’environ 16 minutes diffusée sur les réseaux et contenant des voix reconnues par tous comme étant celle du président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Soro Guillaume et celle de l’ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, du temps où Blaise Compaoré sévissait encore au sommet de cet Etat, est-elle un document authentique ou un grossier montage?
La question, on le sait, divise Soro Guillaume et une partie de la presse ivoirienne, notamment la presse dite «bleue», proche de l’intrépide Laurent Gbagbo, en pèlerinage à la CPI depuis quatre ans. Pour les communicants de Soro Guillaume qui, dans cette affaire, ont donné dans tous les sens, laissant transparaître une certaine panique, il y a bel et bien eu un échange entre leur patron et l’ancien ministre de Blaise Compaoré. Un échange qui n’aurait duré qu’environ quatre minutes et dans lequel, Soro Guillaume aurait donné son accord pour assister un «ami» dans la détresse dont les comptes auraient été gelés et qui cherchait à quitter son pays. Pour eux, c’est l’enregistrement de cette conversation de quatre minutes qui aurait été détourné et manipulé pour accabler Soro Guillaume et l’empêcher d’être le futur vice-président de la Côte d’Ivoire. Car, sur une prétendue liste de 14 candidats à ce poste – on ne sait si c’est au RDR uniquement ou dans l’ensemble du RHDP – Soro Guillaume caracolerait en tête. Rien que ça ! Et donc, à les croire, Soro Guillaume serait victime d’un vilain complot ourdi par ses adversaires internes. La réaction des responsables de la communication de Soro Guillaume – avec sans aucun doute sa caution-on le sait, a été une véritable «connerie» qui a plus desservi la cause de Soro Guillaume qu’à effacer le doute qui s’était installé dans l’opinion publique. Soro qui manifestement n’est pas si stratège que cela – vu cette grossière erreur de communication – a dû, quelques jours plus tard, fait «marche arrière toute» pour tenter de sauver les meubles. Alors que ces communicants avaient servi à suffisance la thèse du complot interne, lui-même est venu imputer l’origine du complot à de présumées personnes se trouvant aux Etats-Unis. Et, ne riez pas, lui et ses services seraient parvenus à cette découverte après plusieurs jours d’investigations minutieuses. C’est vrai qu’il n’a pas dû investir beaucoup d’argent pour ces investigations, quand on sait que la première personne à publier cette bande audio est un jeune ivoirien résident aux Etats-Unis et animateur sur une radio de la diaspora ivoirienne. Avec la réaction de Soro Guillaume qui n’a pas craint de noyer ses propres communicants, il ne s’agit point d’un complot venant du RDR ni du RHDP, mais plutôt d’un complot ourdi par des personnes qu’il a bien identifiées et qui vivent aux Etats-Unis. Conclusion du bavardage? Il s’agit d’un complot extérieur. Mais les observateurs avisés n’ont pas manqué de réaliser que dans sa réaction devant des chefs traditionnels – donc un cadre informel pour une affaire aussi grave – Soro Guillaume ne dit pas, comme l’ont chanté ses collaborateurs, qu’il a eu un ou plusieurs entretiens téléphoniques en pleine tentative de putsch au Burkina, avec l’ancien ministre de Blaise Compaoré. Il se contente de dire qu’il s’agit d’un grossier montage, sans plus. Et là, il rejoint en quelque sorte mais partiellement, ses communicants qui disent avec une certaine fierté que pour avoir été un chef rebelle pendant des années, il sait comment sécuriser ses communications et qu’il disposerait d’un téléphone satellitaire de marque «Touraya» que personne ne peut mettre sur écoute. Drôle d’argument quand on sait que des chefs d’Etat de pays qui sont des puissances militaires et économiques, sont écoutés. Bref, Soro Guillaume et ses communicants, en voulant éteindre le feu, ont utilisé de l’huile.
Bande authentique ou bande non authentique?
«L’Eléphant», comme il l’avait promis à ses fidèles lecteurs, s’est bien garder de prendre une position péremptoire dans cette affaire sans avoir soumis l’élément à des spécialistes internes et externes et notamment à un contact qui a intercepté et écouté en Côte d’Ivoire, plusieurs dizaines de milliers de communications en dix années. Leur conclusion est formelle: «Il s’agit d’une bande authentique». Avant d’ajouter que « le seul moyen pour Soro Guillaume de démontrer le contraire est de saisir la justice ivoirienne d’une plainte. La justice ordonnera une expertise et alors des spécialistes donneront une réponse qui mettra fin à tous débats». Mais Soro ayant localisé les «comploteurs» aux Etats-Unis, il préfèrera sans doute ne rien faire puis que dans ce pays, ce genre d’affaires a vite fait de se retourner contre le plaignant et d’entraîner d’horribles dommages et intérêts à verser à l’autre partie accusé à tort. Au sommet de l’Etat ivoirien, une affaire qui fait autant de bruits et qui est évoquée par de grands médias étrangers n’a pas entrainé la moindre réaction de la part du Gouvernement ivoirien. Interrogé par «L’Eléphant» sur ce silence, un officiel a déclaré que «le Gouvernement ivoirien ne se prononcera jamais officiellement sur une affaire qui fait en ce moment l’objet d’une instruction judiciaire au Burkina Faso et qui a quand même vu l’arrestation et la détention jusqu’à ce jour de l’ancien ministre Djibril Bassolé, inculpé d’au moins onze chefs d’accusations dont celui de collusion avec des forces étrangères. La collusion avec des forces étrangères tire son origine de cette affaire d’entretiens intenses entre le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et l’ancien ministre. Est-ce que le Gouvernement ivoirien a autorisé Soro Guillaume à avoir des communications avec des politiciens burkinabè dans une situation où un coup d’Etat était en train d’être tenté dans ce pays? La réponse est non. Les pouvoirs sont séparés en Côte d’Ivoire et chacun, l’exécutif et le législatif, gère ses problèmes.» Mais est-ce que la bande audio diffusée sur Internet est authentique? A cette question, un haut responsable sécuritaire ivoirien répond sans hésitations: «Il s’agit bien d’un document authentique. La conversation entre Soro Guillaume et Djibril Bassolé a bel et bien eu lieu pendant que le coup d’Etat était en passe d’échouer au Burkina. Que quelqu’un dise que Soro aurait proposé son aide à Djibril Bassolé qui voulait fuir son pays, c’est bien parce que ce dernier savait que l’opération était dans l’impasse. Soro Guillaume s’embrouille dans ses opérations de communication mais il ne peut pas nier qu’il a échangé avec Djibril Bassolé de la situation au Burkina Faso pendant qu’un coup d’Etat avait cours dans ce pays. Et, avec les systèmes d’écoute installés dans le Sahel par de grandes puissances telles que la France et les Etats-Unis pour surveiller les activités des terroristes, Soro est bien naïf de faire croire que même avec son téléphone satellitaire dont il n’est pas le fabriquant, il peut communiquer avec des gens au Burkina dans un contexte où le monde entier avait les yeux rivés sur ce qui s’y passait, sans que ses communications ne soient interceptées. Ce n’est pas parce que l’apprenti putschiste Diendéré était encore au Palais et contrôlait la machine qu’il n’y avait pas d’autres moyens d’intercepter tous les appels qui sortaient et entraient au Burkina dans cette période.» Mais alors pourquoi le Gouvernement de la transition ne se prononce pas sur cette affaire? Réponse de notre source: «Mais les autorités de la transition, à travers la justice du Burkina, ont déjà répondu d’une certaine manière à cette interrogation. Djibril Bassolé a été arrêté du simple fait de ses communications extérieures pendant la tentative de coup d’Etat. Et l’affaire étant en instruction, comment voulez-vous qu’ils fassent le travail de la justice à sa place?» C’est une bonne question. A Paris où séjourne en ce moment le chef de l’Etat Alassane Ouattara, certains de ses proches collaborateurs ont la même réaction. «Cette affaire ne regarde pas le chef de l’Etat et il n’a pas à s’immiscer dans une affaire qui est entre les mains de la justice burkinabé. Son rôle est de faire en sorte que les relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ne se dégradent pas. Il ne gère pas les relations de Soro Guillaume avec des hommes politiques burkinabè du régime déchu.» Comme quoi, chacun gère ses problèmes. Pour le moment, en laissant ses communicants aller dans tous les sens avant de sortir pour aller dans un autre sens, Soro Guillaume, le «stratège militaire» a bien mal exécuté les leçons de communication apprises dans le cadre de la rébellion. Sinon il aurait su que lorsqu’une tentative de coup d’Etat a lieu dans un pays, on n’appelle pas ses «camarades» qui sont dans ce pays pour leur proposer de les aider financièrement à fuir le pays pendant que l’armée loyaliste tente de mâter la tentative. C’est une erreur de débutant que le très expérimenté Soro va expérimenter à ses dépens. Qu’il soit premier de la classe dans la course à la vice-présidence ou pas.
ASSALE TIEMOKO, depuis Paris, in L’Eléphant déchaîné n°401
Avec africanewsquick.info