Depuis dix jours, sous nos yeux ébahis, de nouveaux et curieux juristes s’échinent, avec l’ardeur d’un pasteur évangéliste, à nous expliquer le bien-fondé juridique de la décision de M. Yao-N’dré Paul et de ses acolytes du Conseil constitutionnel, et à nous exhorter à nous prosterner devant ce qu’ils présentent comme une vérité biblique couverte d’infaillibilité. Ces nouveaux sectateurs du droit, nous révèlent que la décision du Conseil constitutionnel est couverte de « l’autorité de la chose jugée ». Par voie de conséquence, nous devons croire et être convaincus de la victoire de Monsieur GBAGBO, telle que le Conseil constitutionnel l’a proclamée. Ceux qui doutent sont présentés comme des mauvais Ivoiriens, des rebelles qui remettent en cause l’autorité des oracles de notre texte sacralisé, la Constitution. Ils risquent l’indignité nationale.
Le sortilège d’une telle entreprise de décervelement doit être déjoué. Au début, on a pu penser que l’instrumentation politique et partisane de l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel est trop visible pour tromper véritablement qui que ce soit. Mais la répétition lancinante de ce sophisme avec le concours de certains experts en droit, en mission tarifée, peut troubler bon nombre de nos concitoyens non avertis des subtilités du droit et de la manipulation dont il peut être l’objet.
La CURDIPHE, qui est un cercle universitaire de recherche et de diffusion regroupant des enseignants ivoiriens et étrangers de toutes disciplines, entend, ici, dénoncer la duperie.
En effet, le discours sur le respect du droit, de la constitution dont on nous abreuve depuis dix jours, est en réalité, un trompe-œil. Le droit est seulement sollicité comme une arme dans une lutte politique, sous-tendue par une logique autre que juridique. Derrière le discours juridique et l’invocation incessante de l’autorité de la constitution, se profile en réalité le transfert de légitimité du peuple au profit d’une institution politique, le Conseil constitutionnel.
Heureusement, la vigilance de la majorité de nos concitoyens voue une telle manipulation à l’échec.
Si le respect de la règle de droit est une exigence de toutes les sociétés, il n’en reste pas moins que la soumission des citoyens à celle-ci suppose leur confiance dans les institutions habilitées à l’édicter ou à juger, qui doivent être neutres, impartiales, crédibles. Tel n’est pas manifestement le cas du Conseil constitutionnel. Composé exclusivement de militants F.P.I et animé d’arrière-pensées politiques, il a fait fi avec un consternant cynisme des règles et principes élémentaires du droit du contentieux constitutionnel (III) dans sa décision du 3 décembre 2010, truffée d’incongruités (II) au point qu’on peut se demander légitimement si une telle institution est respectable (I).
I- LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL EST-IL RESPECTABLE ?
Plus encore que la portée formelle qu’on attache à ses décisions, la crédibilité d’une institution, surtout lorsqu’elle est nouvelle, en construction, dépend pour une part essentielle de la compétence, de la personnalité, la probité et la dignité des hommes qui l’incarnent et la font vivre. Il n’en saurait aller autrement pour un organe comme le Conseil constitutionnel. La seule invocation incantatoire de la portée obligatoire et définitive, l’autorité de la chose jugée de ses décisions ne peut pas suffire à entrainer l’adhésion des citoyens et lui garantir leur respect, surtout s’ils ont conscience qu’elle dévoie sa mission.
A-LE DEVOIEMENT DE SA MISSION PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Certes, notre Constitution en son article 98 dispose que » les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Ils s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale « . Mais, l’autorité de la chose jugée ainsi définie ne saurait signifier l’abdication de la raison, de la réflexion ou de la résistance du citoyen devant le dévoiement de sa mission par le Conseil constitutionnel. Peut-on raisonnablement suivre le Conseil constitutionnel lorsque, grossièrement, il méconnait les frontières de son office et entend se substituer au peuple souverain ?
A ce niveau, il importe de préciser que l’autorité de la chose jugée, c’est-à-dire l’impossibilité de contester ou de revenir sur ce qui a été jugé, qui s’attache au demeurant à toute décision juridictionnelle définitive, ne vaut que s’il y a chose jugée. Autrement dit, elle concerne seulement des décisions prises par une véritable juridiction, c’est-à-dire un organe statuant sur la base du droit à partir de procédures contradictoires. Tel n’est pas le cas du conseil constitutionnel avec sa décision du 3 décembre 2010 dans laquelle, elle s’est comportée comme un organe politique dont la seule mission étant d’éviter la défaite de Monsieur GBAGBO en invalidant autant de votes nécessaires favorables à son adversaire, Monsieur OUATTARA et tout cela au mépris des faits et des règles de droit.
Faut-il rappeler que le Conseil constitutionnel, pour se présenter comme une juridiction suprême, n’en demeure pas moins un organe constitué, auquel s’impose les lois, la Constitution et surtout la volonté du peuple souverain ? Les membres du Conseil constitutionnel ne sont pas libres d’agir selon leur bon plaisir. Avant d’entrer en fonction, ils prêtent serment, dans lequel, conformément aux articles 90 et 91 de la Constitution, ils s’engagent » à bien et fidèlement remplir leur fonction, à l’exercer en toute indépendance et en toute impartialité dans le respect de la Constitution, à ne prendre aucune position publique dans le domaine politique… « . Dans ces conditions, dès lors que les membres du Conseil constitutionnel s’affranchissent ostensiblement du respect de la Constitution, des règles qui gouvernent le contrôle de l’élection et parjurent, de quelle légitimité peuvent-ils encore se prévaloir pour que les citoyens ne contestent pas leur décision surtout, si elle censure, à partir de motivations fantaisistes, le peuple souverain ? Trop de personnes oublient qu’au-dessus de la Constitution et du Conseil constitutionnel et ses décisions frappées d’autorité de chose jugée, il y a le peuple souverain de qui tout procède et qui peut passer outre les oukases du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel, rappelons-le, n’est pas composé de membres élus, mais nommés sur une base politique. Il n’a ainsi aucune légitimité démocratique. Ses membres ne sont pas des magistrats professionnels, ils sont désignés librement par le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale, sans exigence de qualité et de compétence juridique avérée. Comment le peuple souverain peut-il accepter les outrages d’un tel organe ? Toute légalité, surtout si elle est pervertie, comme c’est le cas avec le Conseil constitutionnel, doit céder devant la légitimité qui s’attache à la volonté de la majorité du peuple souverain.
Lorsque le Conseil constitutionnel abuse de sa position et fausse le jeu démocratique et notamment l’alternance, en permettant à un président battu d’invoquer les pouvoirs et procédures constitutionnelles, respectées dans leur apparence, pour se perpétuer au pouvoir, le peuple souverain ne peut que réagir vivement. L’injustice constitutionnelle provoque fatalement l’insurrection démocratique.
La justice constitutionnelle ne peut être véritablement acceptée que si par sa composition, elle donne le sentiment aux principales forces politiques et au corps social, que l’on peut lui faire confiance. Les contrôlés doivent avoir confiance dans leurs contrôleurs.
Dans les facultés de droit, dans le cours de droit constitutionnel, lorsqu’on en vient à l’étude du Conseil constitutionnel, on s’interroge, rituellement, sur sa nature ! Est-il un organe politique ou un organe juridictionnel ? Si généralement, au regard des procédures contradictoires qu’il emprunte, du fait qu’il tranche des litiges juridiques sur la base du droit, et que sa décision est revêtue de l’autorité de la chose jugée, on opine pour le caractère juridictionnel, pour ce qui concerne la Côte d’Ivoire, aucun doute n’est plus permis !
Il s’agit bel et bien d’un organe politique, voire partisan.
L’illustration que le Conseil constitutionnel vient d’en fournir, en déclarant sans sourciller M. GBAGBO, élu président de la République, en lieu et place de M. OUATTARA, après avoir annulé, sur des motifs fantasques, plus de 600.000 suffrages exprimés, plus de 12 de l’électorat et l’ensemble des votes dans les 7 départements les plus favorables à Alassane Dramane OUATTARA achève de convaincre les plus sceptiques ou les plus naïfs que n’avait pas alerté et alarmé sa composition.
B-LA COMPOSITION PARTISANE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Outre le fait que l’ensemble de ces 6 membres ont été désignés par M. GBAGBO et M. Mamadou COULIBALY en tant que Président de l’Assemblée Nationale, leur nomination est totalement discrétionnaire. Aucune condition d’âge, de compétence juridique, d’expérience professionnelle. La condition poreuse posée par la Constitution, celle » de personnalités connues pour leur compétence en matière juridique ou administrative « , relève surtout de la clause de style.
De fait, pour accéder au Conseil constitutionnel, les personnes désignées ne doivent être revêtues d’aucun mérite éminent. En réalité, la seule condition qui ressort de l’examen de la pratique, c’est l’appartenance partisane ou l’amitié avec le président GBAGBO. L’élément le plus navrant dans la composition actuelle du Conseil constitutionnel, outre le fait que les membres sont tous militants du FPI, c’est leur incompétence technique en matière de droit constitutionnel. Certes, il est composé de juristes professionnels dont 4 enseignants de droit, mais aucun d’eux n’est un constitutionnaliste connu et reconnu.
Le droit constitutionnel et notamment le contentieux constitutionnel est affaire de spécialistes. Tout juriste, même s’il a déjà lu la Constitution et peut en donner une définition n’est pas pour autant constitutionnaliste. Ainsi, si le président du Conseil constitutionnel, Monsieur YAO N’dré Paul est professeur titulaire de droit, sa spécialité reste le droit international et les relations internationales. Les étudiants de la faculté de droit attestent qu’il n’a jamais assuré ni cours, ni TD en droit constitutionnel. Il en va de même du second professeur, monsieur TANO Kouakou Félix qui est professeur de finances publiques. Monsieur EKPO Bruno est assistant en droit économique, Madame Kouassi épouse SESS est assistante en droit civil.
Après plus de 20 ans d’enseignement, elle n’a toujours pas pu finir sa thèse de doctorat. Quant à Monsieur DALIGOU et Madame Touré épouse EBAH, ce sont des juges de tribunaux de première instance. Leur connaissance du droit constitutionnel se limite à leurs souvenirs de leur lointaine première année d’étudiant en droit. Quant à Monsieur AHOUA N’guetta Timothé, qui est un politicien et le plus âgé des membres, sa présence parmi les juristes aurait pu être un atout pour la prise de décisions muries si la haine recuite qu’il voue à Monsieur BEDIE et qu’il a étendue au candidat du RHDP n’avait pas affecté sa vision. Il manifeste à l’égard de Monsieur GBAGBO le zèle et la foi des nouveaux convertis. Pour lui, comme pour les 5 autres membres, les désirs de Monsieur GBAGBO sont des ordres qu’ils exécutent moutonnement. La peur de perdre leurs privilèges mais aussi la crainte du courroux du pouvoir politique les maintiennent dans l’asservissement et l’opportunisme.
Avec une telle composition, le Conseil constitutionnel ne pouvait que rendre des décisions hasardeuses dans lesquelles la rigueur juridique, lorsqu’elle n’est pas absente, fléchit devant les considérations partisanes ou d’opportunité. On pouvait parier sans risque qu’avec sa composition politique actuelle, la légèreté du bagage intellectuel en matière constitutionnelle de ses membres dont certains ont une réputation déjà ternie de tâches trop visibles, l’intervention du Conseil constitutionnel ne pouvait déboucher, en matière électorale, que sur des décisions reposant sur des intentions subjectives et des arrière-pensées politiques, et partant contestables, sur le plan juridique. Qui ne se souvient que le Conseil constitutionnel a reconnu l’éligibilité de Monsieur ADAMA Dahico alors même qu’il avait admis qu’un naturalisé de moins de 10 ans ne pouvait être candidat conformément au code de la nationalité, mais il a décidé de céder à demande expresse de M. GBAGBO ?
Nous croyons que, dès lors, que le Conseil constitutionnel se comporte, non comme un organe juridictionnel, mais comme une institution politique, et que dans le règlement des affaires qui lui sont portées, il applique sa propre éthique et ses convictions partisanes, il perd sa légitimité et son crédit. Ses décisions se trouvant démonétisées. S’y soumettre, c’est favoriser l’arbitraire et partant, les révoltes à venir.
Pour ce qui concerne la décision du 3 décembre 2010 sur l’élection présidentielle, les incongruités et dérapages que révèle son examen même rapide, dissuade et lui accorder crédit.
II-LES INCONGRUITES D’UNE DECISION POLITIQUE HABILLEE EN DECISION
DE JUSTICE
La lecture de la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2010 plonge tout juriste sérieux dans la perplexité. Elle laisse une impression de travail hâtif et superficiel. On le vérifiera en mettant en lumière les errements formels de la décision, mais aussi sur le fond, ses insuffisances et imprécisions.
A-LES ERREMENTS FORMELS DE LA DECISION
La décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2010, proclamant les résultats définitifs de l’élection présidentielle est intervenue avec une rapidité suspecte et en méconnaissance de certaines exigences formelles ou procédurales qui jettent une suspicion légitime sur celle-ci.
Sans vouloir être exhaustif, on peut retenir les quatre errements les plus flagrants.
De prime abord, on est frappé par la troublante célérité avec laquelle la décision est intervenue.
Deux jours à peine après avoir reçu le recours. Ce bref délai donne à penser que l’instruction de la requête et le délibéré, s’ils ont eu lieu, furent extraordinairement expéditifs.
La rédaction de la décision étrangement brève, sans précision sur les faits reflète par ses insuffisances formelles, la précipitation et l’absence de sérénité qui ont présidé à la conception et à l’exécution de ce qui apparait comme un coup d’Etat constitutionnel.
A cet égard, on relèvera, avec amusement, que le dispositif de la décision nous apprend que les requêtes de Monsieur GBAGBO sont seulement » partiellement » fondées alors que le corps de l’arrêt n’évoque et ne donne pas à voir ces points des requêtes rejetés. Ce » partiellement » introduit, subrepticement, dans le dispositif serait-il le signe d’une mauvaise conscience de la Cour ?
Secondairement, on s’étonnera de la recevabilité des requêtes introduites déjà le 1er décembre 2010, c’est-à-dire, avant la proclamation provisoire des résultats par la CEI, le 2 décembre 2010. Il est pourtant de jurisprudence constante, dans tous les pays, qu’un recours en contestation d’une élection n’est recevable que seulement après la proclamation provisoire des résultats.
De bons esprits nous rétorqueront à cet égard que le Conseil constitutionnel dans une déclaration faite après le premier tour avait expliqué que le délai de 3 jours imparti par le code électoral courrait à partir du jour du vote. Cette interprétation littérale d’une disposition mal rédigée du code électoral heurte le bon sens. Qu’adviendrait-il lorsque, c’est le candidat qui, à la suite du vote et sans attendre la proclamation des résultats par la CEI, (qui, comme cela s’est vu pour ce qui concerne la diaspora en France, a pouvoir d’annuler certains votes) a introduit des requêtes pour l’annulation du scrutin, qui est déclaré vainqueur ?
Le troisième motif d’étonnement, c’est le non respect du caractère contradictoire de la procédure. Il s’avère qu’alors même que les requêtes le présentent comme l’auteur des fraudes ou le bénéficiaire, M. OUATTARA et ses avocats n’ont pas eu communication du dossier et des griefs portés à son encontre par M. GBAGBO, et pouvoir ainsi, se défendre. En ne communicant pas à M. OUATTARA les requêtes, le Conseil constitutionnel a foulé aux pieds les principes élémentaires d’un procès équitable. En n’assurant pas les droits de la défense, à travers le respect d’une procédure contradictoire, le conseil constitutionnel a-t-il entendu intervenir comme un organe non juridictionnel ?
Enfin, on s’étonnera, qu’alors même que la veille, M. Yao-N’dré Paul, en transe, est venu plastronner sur la RTI que les résultats provisoires que la CEI venait de proclamer sont nuls, pour être intervenus hors délai, que la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2010 ne prononce nulle part l’annulation ou la nullité des résultats proclamés par la CEI. A ce niveau, on rappellera un principe de base du droit : une décision administrative, même illégale a l’autorité de la chose décidée, qui la rend obligatoire, exécutoire, tant qu’il n’a pas l’objet d’annulation administrative ou juridictionnelle dans les formes régulières. M. Yao-N’dré Paul, n’étant ni le supérieur hiérarchique de la CEI qui prend ses décisions à travers son président, ni une juridiction, son opinion, son appréciation personnelle ne saurait remettre en cause la validité de la proclamation des résultats provisoires par la CEI. La décision prise par M. Yao-N’dré Paul, visant à denier toute valeur à la proclamation faite par la CEI, s’analyse comme un acte inexistant, c’est-à-dire une décision infectée d’une illégalité monstrueuse que le droit tient pour nulle et non avenue.
L’analyse sur le fond de la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2010 révèle les mêmes approximations, imprécisions et affirmations dépourvues de preuves.
B-LES INSUFFISANCES DE FOND DE LA DECISION DU 3 DECEMBRE 2010
Aux termes de la décision du Conseil constitutionnel, les irrégularités graves et nombreuses de nature à entraver la sincérité et la régularité des résultats du vote dans les 7 départements visés, allégués par le requérant GBAGBO sont relatives notamment :
-L’absence de ses représentants et délégués dans les bureaux de vote ;
-Au bourrage d’urnes,
-Au transport des procès-verbaux par des personnes non autorisées ;
-A l’empêchement de vote des électeurs ;
-A l’absence d’isoloirs ;
-A la majoration des suffrages exprimés.
A considérer ces 6 moyens ou griefs, les seuls retenus par le Conseil constitutionnel, même si le « notamment » qui précède leur énumération peut donner à penser que Yao-N’dré Paul et sa bande ont gardé certains griefs dans leur gibecière, force est de constater, qu’ils ne sont pas assortis de preuves et de précisions suffisantes propres à les établir. Les requêtes et, hélas, la décision du Conseil constitutionnel contiennent beaucoup d’idées toutes faites, d’abusives simplifications et des impostures. Les positions prises par le Conseil constitutionnel dans l’examen des moyens, sont plus assenées que juridiquement argumentées.
La lecture de la décision suscite fatalement de nombreuses questions restées sans réponse qui peuvent conduire à douter de l’exactitude des faits et allégations du requérant, et partant, de la mesure de leur impact qu’a effectué le Conseil constitutionnel. Le passage en revue des différents moyens accueillis par le Conseil constitutionnel permet de vérifier la légèreté coupable dont elle a fait montre !
Concernant le moyen tiré de l’absence des représentants et délégués :
Comment comprendre que le Conseil constitutionnel a pu retenir un tel grief alors qu’il ne précise ni le nombre, ni la localisation des bureaux concernés ? L’empêchement des représentants du candidat GBAGBO d’accéder aux bureaux de vote s’est-il réalisé dans les 2.686 bureaux de vote des 7 départements ? Quels sont les représentants expulsés ? Et par qui ? Peut-on, raisonnablement, imputer au candidat OUATTARA, l’absence dans les bureaux des délégués LMP qui, au moment du vote, ont préféré les plaisirs enivrants des maquis et hôtels ?
Sur le grief tiré du bourrage d’urnes :
La décision évoque seulement le village de Konanprikro et les bureaux de vote d’Alloko-yaokro. On pourrait répondre que c’est un peu court !!! On aurait voulu savoir : Combien de personnes non inscrites ont voté en lieu et place des absents ? Combien d’urnes ont fait l’objet de bourrage ? Qui est l’auteur du procès-verbal d’audition en date du 29 novembre 2010 attestant le bourrage d’urnes ? Quelle est la force probante d’un tel procès-verbal, démenti par les rapports des autorités préfectorales ? Combien de procès-verbaux ont-ils été dressés et concernaient combien de départements ?
Sur le grief tiré du transport des procès-verbaux par des personnes non autorisées :
Le Conseil constitutionnel dévoile que les urnes ont été transportées par des éléments des Forces armées des forces nouvelles. En quoi les différencie-t-on des éléments des forces nationales ? Quelles sont les identités de ces éléments qui ont voulu suppléer les défiances organisationnelles de la CEI ? Ce transport a concerné combien de bureaux ?
Le moyen tiré de l’empêchement de vote des électeurs :
Avalisant les allégations du requérant, la décision du Conseil constitutionnel évoque » plusieurs militants FPI qui ont été empêchés de voter, et d’autres contraints, sous la menace des armes, à voter le candidat RDR… »
Nolens volens, un tel scénario aurait pu être joué dans n’importe quelle partie du territoire. Mais le Conseil constitutionnel n’a pas cru nécessaire de préciser le lieu où ces évènements sont intervenus, et dans combien de bureaux ? La présence des forces de l’ordre, des observateurs et des électeurs ne rend pas peu crédible un tel récit ?
De l’absence d’isoloirs :
A croire le Conseil constitutionnel, cette irrégularité concerne seulement un bureau de vote, à NABRO Mandougou. A la considérer comme établie, une telle irrégularité suffit-elle à annuler le vote dans l’ensemble du département ? N’est-ce pas là, perdre le sens de la mesure ?
Sur la majoration des suffrages exprimés :
Selon la décision du Conseil constitutionnel, les suffrages obtenus par le candidat OUATTARA dans la vallée du Bandama qui seraient de 149.598 voix ont été majorés de 94.873 pour être portés à 244.471 voix. Pour le Conseil constitutionnel, le candidat OUATTARA aurait bénéficié pour cette fraude de la complicité de la Commission électorale régionale. Comment peut-on, sans preuve, tenir OUATTARA pour un fraudeur ? Quel est le stratagème utilisé pour obtenir une si brusque inflation de ses voix ? Comment a-t-il pu procéder pour endormir si profondément les délégués et représentants FPI de la Commission électorale régionale ? Quelle est l’identité des ONG et des observateurs qui ont révélé les actes de violence commis sur les représentants du candidat LMP ? Est-il digne d’une cour constitutionnelle, sans vérification préalable, de donner crédit à des rumeurs absurdes inventées par la malveillance ?
Sur les différents moyens retenus, on pourrait multiplier les interrogations qu’ils suscitent et qui font mesurer la fragilité des motifs avancés au soutien du dispositif de la décision. Celle-ci se trouve comme dépourvu d’ossature scientifique ou juridique. Le Conseil constitutionnel s’est contenté seulement d’avaliser les allégations du candidat. Que cela répondre à un objectif politique ne suffit pas pour en justifier la pertinence juridique.
En réalité, le Conseil constitutionnel, plutôt que de se comporter en juridiction, et par conséquent de s’attacher à motiver, à argumenter, à solliciter les preuves à l’appui des allégations, se prenant à tort, pour un souverain qui n’a pas à s’expliquer, se contente d’affirmer. Sa décision est seulement d’affirmations, sans démonstration.
Annuler une élection est une chose grave qui ne se peut décider que sur la base de motifs juridiques sérieux mûrement réfléchis dont il est indispensable qu’ils soient trouvés dans les textes et surtout sur des faits indéniables, prouvés.
Tout se prouve, écrivait Oscar WILDE, même ce qui est vrai. La formule vaut à plus forte raison pour ce qui ne l’est pas. Car, à qui veut-on faire croire, qu’en dépit de la présence d’un corps expéditionnaire de 1500 hommes armés, envoyés par le généralissime MANGOU dans les zones CNO, quelques pauvres hères et paysans même armés de bâtons et de pétoires ont réussi à empêcher les électeurs d’accomplir leurs devoirs dans 7 départements ? Les taux de participation et de suffrages exprimés retenus par le Conseil constitutionnel lui-même ne viennent-ils pas démentir les allégations d’empêchements de vote, tout comme les rapports rendus publics des autorités préfectorales de Bouaké, de Korhogo et de Séguéla, ainsi que ceux des organismes crédibles d’observateurs ? Le Conseil constitutionnel cède à une défense aveugle les intérêts de monsieur GBAGBO.
Sans aucun doute, ainsi que l’a relevé, le rapport du représentant spécial de l’ONU en Côte d’Ivoire, des incidents, des irrégularités, notamment des empêchements de vote, ont pu être commis ou tentés, ici ou là, dans quelques bureaux, mais ceux-ci n’avaient pas l’ampleur que le conseil constitutionnel leur donne, et dans tous les cas, n’étaient pas de nature à influer sur les résultats au point de faire invalider le vote dans plus de 3.000 bureaux de vote couvrant 7 départements !
Au regard des allégations brandies par le requérant, et qui, de plus, ne sont pas assorties de précisions et de preuves, on reste ébahi, que le Conseil constitutionnel, sur des bases aussi fragiles ait pu conclure qu’il y a atteinte à la sincérité du scrutin. En effet, si l’on s’accorde à dire que la sincérité du scrutin implique que le résultat de l’élection soit l’exact reflet de la volonté exprimée par le corps électoral, les résultats du premier tour dans les 7 départements ont été, à quelques nuances près, confirmés par le second tour. Où se trouve alors l’atteinte à la sincérité du scrutin ?
Sous quelque angle qu’on l’aborde, la décision du 3 décembre 2010 du Conseil constitutionnel est critiquable, consternant au plan juridique. Elle est totalement en déphasage avec les principes les mieux établis du contentieux électoral. (…)
CONCLUSION
Sans doute, au plan strictement juridique, les résultats électoraux proclamés par la décision du 3 décembre 2010 par la bande du conseil constitutionnel, faute d’avoir fait l’objet de certification par le représentant spécial du Secrétaire Général des Nations-Unies et par suite, rejetés par le Conseil de sécurité, n’ont aucune valeur. L’exigence de certifications des résultats de l’élection présidentielle posée par un accord avec les Nations-Unies, dans le cadre de la recherche de la paix, s’impose à toutes les institutions ivoiriennes et au droit interne, et donc prime sur la constitution.
Par delà sa démonétisation au regard de la suprématie du droit international sur le droit interne, les développements qui précèdent ont montré l’inconsistance intrinsèque de la décision du conseil constitutionnel. Friable au plan juridique, elle s’explique seulement par des considérations politiques illégitimes.
A certains égards, la décision du 3 décembre 2010 du conseil constitutionnel rappelle celle du 6 octobre 2000 de la défunte chambre constitutionnelle de la Cour Suprême. Celle-ci aussi, dans un objectif politique, contre la lettre et l’esprit de la constitution, avait invalidé la candidature de Monsieur OUATTARA pour nationalité douteuse et les candidats du PDCI au motif » qu’ils ne seraient pas de bonne moralité « . C’est cette forfaiture juridique qui avait permis à Monsieur GBAGBO d’arriver au pouvoir !!!
Le rapprochement de ces deux décisions peut amener à désespérer de la justice constitutionnelle en Côte d’ivoire. Cela par la faute des membres de cette institution qui n’arrivent pas à se hisser à la hauteur du devoir d’ingratitude qu’exige leur mission : ingratitude à l’égard de l’autorité qui les a nommés, ingratitude à l’égard de leur camp politique. En somme, oublier qui les a fait juges pou r devenir juges.
Mais, il serait vraiment dommageable que du fait de l’action de personnes comme YAO N’dré et de ses comparses, les ivoiriens en arrivent à penser que la justice constitutionnelle est une illusion dangereuse pour l’état de droit et la démocratie.
La CURDIPHE
NB: La CURDIPHE est proche du PDCI
Voir aussi:
http://www.ivoirediaspo.net/index.php/2721/francis-wodie-le-conseil-constitutionnel-na-pas-dit-le-droit.html